A peine avais-je fais quelques pas dans le centre historique via Enrico d'Aste, au cour de la cité antique, que le passé s'imposa avec force avec le baptistère du Ve siècle. J'ai passé mon année de licence à étudier l'art paléochrétien et Albenga fut une véritable révision et révélation. En quelques instants je compris plus de choses qu'en plusieurs heures de cours à visionner des diapositives dans une salle obscure et surchauffée.
Je la touchais enfin cette antiquité si étudiée et pourtant inconnue. Le centre historique d'Albenga est bâti sur l'emplacement de la ville antique, Alba Ingaunorum puis Albingaunum, et cela se voit. Les anciens cardo et decumanus structurent la ville ; les briques qui composent les édifices moulées et appareillées il y a 2000 ans portent une vénérable patine sombre. Le vertige.
Le baptistère avec ses dix faces extérieures m'impressionna particulièrement. Je revoyais les images en noir et blanc de mes livres, je revivais les rites des premiers chrétiens.Ici, près de la cuve au centre de l'édifice, ils communiaient et priaient ensemble. Je passais de longues minutes à observer les motifs en entrelacs sur les fenêtres.
La cathédrale m'impressionna un peu moins car je suis plus familier avec les édifices romano gothiques. Des détails attirèrent mon attention : fragments de peintures sur les colonnes, réemplois de piliers sur la façade, et surtout les grandes tours qui permettaient de surveiller les campagnes alentours.
On en rencontre encore en Ligurie et en Toscane, à San Gimignano par exemple. Au coin de chaque rue, le passé se rappelait à moi par un chapiteau, une colonne, une ogive intégrée dans un bâtiment plus récent. Si mon enthousiasme de vant de tels vestiges fut mo déré lors de mes visites sui vantes, c'est l'ambiance d'un de ces dimanches ma tins de plein été qui me séduit davantage. Tandis que les habitants faisaient la queue dans les commerces, que les enfants couraient dans les rues, les hirondelles inondaient les ruelles de leurs cris stridents, le soleil jouait à cache-cache dans les venelles éclairant un linge éclatant sur un mur sombre, révélant la silhouette harmonieuse d'une sculpture.
De gauche à droite :
le dôme, vue de la nef, fresque médiévale sur un des piliers, fenêtres à rinceaux du baptistère
Après avoir visité Rome, Pompéi, Ravenne. je trouvais désormais le prix d'entrée au baptistère prohibitif. 6€ pour voir des fragments de mosaïques, alors que pour à peine plus cher j'ai visité des cités entières. Ce jour, j'étais là j'étais résolu à prendre un apéritif dans un café accueillant. Justement une terrasse fleurie d'hortensias s'offrait à moi via Martiri de la Libertà, une superbe avenue couverte par le feuillage des platanes sur plusieurs centaines de mètres. La terrasse étant complète, je résolus de prendre mon apéritif à l'intérieur. A peine entré dans la salle, je fus encore transporté dans le passé, mais dans les années 30 cette fois. Le long des murs de la pièce aux dimensions modestes s'alignaient dans un ordre impeccable une série de chaises de style Louis XV face à des tables basses de même style au plateau de marbre mais trop petites, obligeant les clients à se casser le dos pour attraper leur verre. "Une salle d'attente" me suis-je dit. En face, le bar avec ses étagères en bois ciré, ses bouteilles et ses publicités surannées pour des apéritifs et des biscuits.
Derrière, deux femmes de la même époque. J'imagine qu'il s'agit des filles de l'ancien propriétaire ; l'établissement (peut-être un ancien salon de thé) ayant peu évolué avec les modes, son ancienne clientèle bourgeoise s'étant dissoute au fil des années, la patronne fait tourner le café en attendant la retraite qui de ne saurait tarder. Je dois être le seul Français a en avoir passé le seuil depuis des années. Charmé et désireux d'observer la vie de ce petit café, je commandai mon Bitter Campari. La serveuse mis un temps qui me sembla interminable à me le préparer, me jetant de temps en temps des petits coups d'oil curieux. Que se disait-elle ? "Que vient-il faire ici" ou "Tiens si maintenant j'ai une clientèle de touristes, je vais augmenter mon chiffre d'affaires". Son chiffre d'affaires, elle l'augmenta car je trouvai la facture en sortant astronomique.
Quelques centaines de mètres plus loin s'étend le bord de mer avec son chapelet de plages privées. En ce début d'août, autant la plage que les restaurants sont saturés. Il faut attendre son tour pour prendre un café sur un fond de musique disco à moitié couverte par les conversations. Tandis que les estivants patientent pour avoir une consommation, les serveuses, jeunes et branchées, s'activent, ne perdent pas une seconde. L'ambiance reste détendue des deux côtés. En buvant mon expresso qui sera bientôt suivi d'un Limoncello pour faire passer une pizza roborative absorbée sur le chemin de la plage, je regarde les clients se succéder. J'aime bien regarder les gens. On en apprend beaucoup sur la vie d'un quartier en quelques minutes d'attention. Ici, ils sont insouciants, en vacances ou en week-end. Les commandes se suivent et ne se ressemblent pas : pizzas, panini, fruits de mer, pasta. La clientèle est aussi variées : des femmes en tenue de bains très légères côtoient des gamins venus en vélos prendre une glace, des grands-mères en habits sombres. Les serveuses s'impatientent parfois un peu quand un client reste trop longtemps devant sa tasse vide alors que des familles entières attendent pour déjeuner mais aucune remarque ne vient gâcher sa dernière goutte de café, la courtoisie prend le dessus, le premier s'éclipse de lui même.
Ces tranches de vie estivales se déroulent à Albenga mais elles pourraient tout aussi bien avoir lieu sur toute la Ligurie. Cette partie de l'Italie, méconnue des Français, est parsemée d'anciens petits ports de pêche - souvent bâties le long d'une ou deux voies parallèles à la route nationale - transformés en stations balnéaires. Certaines sont plus fréquentées, plus cotées que d'autres, chacune possède son identité, mais la vie y est semblable, douce et paisible le matin, entraînante le soir et souvent insouciante.