La Fête Dieu ou Corpus Domini
Corpus Domini c'est ainsi que les Italiens appellent la Fête Dieu. En Ligurie, à Diano Marina, Sasselo, San Stefano ou Riva Ligure notamment, la population prend une part active à sa préparation, même si à Diano Marina l'attraction touristique prend le pas sur la fête religieuse.
Diano Marina est une petit station balnéaire à quelques kilomètre d'Imperia, situé en-dessous du village historique Diano Castello. Les boutiques chic à la mode n'ont pas encore complètement chassé les bazars d'antan où les savonnettes voisinent avec les cartes postales, la droguerie avec les conserves de thon. Les cafés aux terrasses ombragées de lauriers roses et de djakarandas n'ont pas disparu au bénéfice des fast-foods. En temps normal, c'est une station balnéaire bien fréquentée où il est bon de flâner devant un verre sous un orangers en fleurs.
Trouver à stationner le jour de la Fête-Dieu c'est mission impossible à moins d'arriver tôt, très tôt, presque aux aurores. Les tapis de fleurs préparés dans la nuit par les services techniques municipaux sont déjà cernés par la foule et je dois jouer des coudes pour prendre une photo.
A Diano Marina, il n'y a que deux compositions florales mais elles sont monumentales. La totalité de la place de la Mairie est recouverte d'une couche épaisse de pétales rouges rythmée de quelques motifs géométriques. C'est impressionnant, c'est grand mais cela manque de spontanéité, de sensibilité et d'improvisation.
La ferveur, la foi chrétienne, l'émotion ont disparu. Corpus Domini est devenu une attraction pour touristes dont certains sont venus de loin ; plusieurs cars allemands sont garés à l'entrée de la ville. On s'entrechoquent, on se bouscule sur les trottoirs, le charme habituel de la station balnéaire s'est évaporé sous les pas des milliers de badauds.
Fête-Dieu à Diano Marina
A Sassello, c'est une autre ambiance. Depuis Savone, il faut parcourir plusieurs kilomètres d'une petite route sinueuse au milieu des forêts de noisettiers et de châtaigniers pour atteindre Sassello. Passé le dernier virage, la route arrive en cul de sac sur une petite place accueillante bordée de cafés et de boutiques aux étalages garnis de paquets d'amaretti aux emballages multicolores, de cèpes séchés et d'autres spécialités gastronomiques locales. L'endroit est plus fréquenté que l'on ne croit au premier abord : randonneurs, cueilleurs de champignons, chasseurs, amateurs de sports automobiles (il y a un circuit tout proche) si donnent rendez-vous. C'est aussi une halte appréciée pour les automobilistes qui rejoignent l'autoroute de Turin. Selon un dicton, si Sasselo était une bague, ce serait une alliance car l'on y revient toujours.
Et c'est vrai que le village ne manque pas de charme.
Le jour de la Fête Dieu , des parkings supplémentaires sont ouverts dans les champs des alentours car là aussi, il y a foule. Mais contrairement à Diano Marina, ici ce ne sont que des Italiens, des locaux mais aussi des Turinois, des Milanais, certains venus en bus pour l'occasion.
A 9h00 c'est déjà l'excitation dans les rues. Les caisses de fleurs, de riz coloré sont déjà sorties car la procession est à midi après la messe. Il faut dessiner les motifs, les remplir de pétales pour le début de la messe à 11h00. Les chemin de fleurs parcourent les ruelles de l'église principale, à celle des Pénitents jusqu'à la chapelle à l'orée du village.
Après la procession tout le monde se retrouvera à la terrasse des cafés pour un apéritif de forestiers. Une fois fini les amuse-bouches, le repas est terminé tellement il y en a. Même chose pour les panini, un seul suffirait pour deux personnes. les promenades en forêt ça creuse.
Motifs de Fête-Dieu à Riva Ligure
A San Stefano et Riva Ligure, deux anciens villages de pêcheurs près de San Remo qui ont mué en station balnéaire, l'ambiance est encore différente. La procession n'est qu'à 19h00, alors on prend son temps. En milieu de matinée on se presse doucement. Les motifs sont vaguement dessinés à la craie au milieu des ruelles. Des effluves de café circulent un peu partout. Elles proviennent d'énormes sacs poubelles disposés ici et là. Je ne sais depuis combien de temps, mais tout le marc de café a été récupéré pour délimiter les zones colorées des tapis de fleurs, comme les résilles de plomb sur les vitraux.
Tandis que les adultes terminent de tracer les lignes de leur motif au sol, les plus âgées à l'ombre de l'église ou de la mairie s'affairent devant les caisses de fleurs. Ils détachent d'un geste dont l'assurance trahit des années de participation, les pétales en prenant soin de ne pas abîmer les tiges. D'autres trient les corolles, les tiges selon leur longueurs, leurs couleurs. Vers 11h30, la gamine du bar voisin distribue à celui qui veut des petits beignets de blettes servis en amuse-bouches au café. Aux terrasses, touristes et locaux prennent l'apéro.
Puis après la sortie de la messe, à l'heure du déjeuner, Riva Ligure et S. Stefano s'assoupissent légèrement. Seuls les voix ésincarnés des commentateurs sportifs de la télé animent désormais les rues désertes. L'activité reprend en début d'après-midi à l'ombre des ruelles. Toutes les générations y participent.
A côté des motifs floraux ou géométriques, les symboles ou les images christiques sont omniprésentes
à San Stefano al Mare et Riva Ligure
Si les anciens poursuivent leur tâches du matin, leurs enfants mettent tout leur coeur, leur sensibilité à composer leur tapis floral. Le plus souvent il s'agit de calices, de colombes, du visage du Christ, de la Vierge , de fleurs ou de symboles de paix. Il faut une bonne épaisseur de fleurs afin d'avoir une belle surface unie aux reflets chatoyants au soleil. Les contrastes lumineux sont privilégiés pour une meilleure lecture du motif : des pétales rouge sang à côté d'un jaune pâle, du orange et du vert, du bleu et du rose.
Puis les enfants entrent dans le jeu. Et tandis que les hirondelles inondent les rues de leurs cris stridents, les jeunes munis de pulvérisateurs passent et repassent sur les motifs pour les rafraîchir des ardeurs du soleil. Les adultes admirent et commentent les compositions de leurs voisins ; s'il existe une émulation amicale entre les personnes, elle est plus prononcée entre les deux villages.
Vers les 17h00, c'est l'heure du fignolage. Aucune partie de la fleur n'est perdue et j'admire l'inventivité des Italiens. On se conseille sur l'utilité d'une bordure en tige d'oeillets, on enlève et on recommence, on ajuste tout devant être disposé au centimètre voire au millimètre.
Puis vient l'heure de la procession après la messe. C'est le point d'orgue de la journée. Tout le village est présent. A Sasselo les confréries se préparent sur le seuil de l'église, la mise en place prend quelques longues minutes. Apparemment il y a un ordre immuable à respecter dans l'ordre des bannières et des crucifix. Puis commence la procession. Le curé suit un circuit tracé depuis plusieurs siècles passant devant les oratoires, foulant en quelques minutes plusieurs heures de travail.
Cet aspect éphémère donne toute sa valeur à ce travail car il est gratuit, uniquement motivé par la foi mais il est aussi source de découragement de certains comme me le confiait une habitante de Riva Ligure. Plusieurs jours de préparation, des heures de travail en pleine chaleur et pas de reconnaissance du clergé qui le piétine en quelques minutes. Elle aurait aimait que le curé lui fasse quelques compliments et ne détruise pas sa création si vite qu'il le laisse à l'admiration des passants mais telle est la tradition.
C'est ce constat et le coût des milliers de fleurs qui a sans doute poussé d'autres localité à disposer des tapis de fleurs seulement devant les oratoires ou les édifices religieux à l'écart des lieux de circulation. A San Stefano, depuis 2009 les décorations pour Corpus Domini sont moins ostentatoires, la municipalité ayant préféré investir davantage dans la première "Infiorata", sorte de floralies plus attractive pour les touristes.