Scilla
Scilla, prononcé à l'italienne, ce mot a une douce consonance. Mais pour les Grecs il était synonyme d'effroi. Nous en avons conservé l'expression "Aller de Charybde en scylla". Le premier étant un gouffre à l'extrémité sud de la Sicile, le second un monstre de six têtes et douze pieds qui dévorait les équipages passant au large de son antre située sur les côtes de la Calabre actuelle. Lorsqu'il dut choisir entre les deux, Ulysse préféra Scylla car Charybde lui réservait une mort certaine. Aujourd'hui, les marins ne les craignent plus mais ils demeurent prudents lorsqu'ils naviguent dans ces eaux parcourus de forts courants.
Strabon et Polybe affirment que Scilla fut fondée lors de la guerre de Troie au XIIe siècle av. J.C. Scilla apparaît pour la première fois dans la lutte entre les pirates tyrrhéniens, installés dans cette partie de la côte, et le tyran de Reggio Calabria Anaxylas en 493 av. J.C.
Dans le petit port de la Chianalea de Scilla, les maisons donnent directement
sur la mer. Au fond sur le rocher, la forteresse du XVIIe commencée au XIIIe siècle.
C'est par une météo de calmes précaires interrompus par des grains violents accompagnés de bourrasques que n'aurait pas renié Ulysse que je suis arrivé à Scilla. Pour les habitants à la mi-septembre la saison est déjà terminée, les estivants partis, les terrasses vidées, les restaurants de plages démontés. A partir de la fin août, le temps en Calabre devient capricieux, viendront ensuite les pluies quotidiennes. Evanouis les couchers de soleil des cartes postales sur une mer violine - nous sommes sur la Costa viola.
Protégées par la forteresse du construite entre le VIIIe et le IXe siècle, les premières maisons semblent désertes. Pour rejoindre le bourg des pêcheurs de l'autre côté du rocher, il faut, soit faire le tour par le haut, soit emprunter un tunnel récent taillé dans la roche. Dans une anfractuosité de la roche une madone a été placée à la mémoire des marins disparus en mer ; à l'endroit même où Scylla guettait les navires.
Prévoyant un coup de mer, les pêcheurs hissent leurs barques sur la cale
De l'autre côté c'est le petit port de la Chianalea. Une ruelle linéaire parallèle au rivage. Ici, on pêche l'espadon depuis des générations au harpon à bord de bateaux munis d'un mât de vigie. Les grosses unités, les spadare, sont amarrées à quelques kilomètres de là, à Bagna Calabra. Tous les ans, en juillet, on célèbre le poisson roi lors de la Sagra del pesce spada.
Aujourd'hui, les pêcheurs prévoyant sans doute un coup de mer hissent leurs barques sur le quai. Chacun aide son voisin, pas de cris, pas de grands gestes. Les paroles sont limitées à l'essentiel. Nous sommes entre gens de mer qui se comprennent sans se parler. Si la majorité des bateaux sont regroupés ici, plusieurs maisons possèdent leur propre cale aménagée entre deux habitations ou au sous sol. Chacune d'elles donne directement sur la mer par un petit escalier. Elles sont ancrées sur le rocher même.
Cale au milieu du hameau de la Chianalea de Scilla devant l'hôtel installé dans le Palazzo Scategna du XVe s.
totalement rénové il y a moins de vingt ans, témoignage de
l'arrivée du tourisme dans ce petit port de pêche.
Quelques unes abritent un hôtel de luxe, un restaurant ou un magasin de souvenirs (un seul), signe de la pénétration encore timide du tourisme. Quelques Américains et un groupe d'Allemands, plus intéressés par les techniques de pêche que par les bibeloteries, s'apprêtent à quitter les lieux.
Les habitants sont rares à l'exception des chats errants qui doivent en Calabre, plus qu'ailleurs, compter sur leur intelligence et leur capacité d'adaptation pour survivre. L'un d'eux, un chaton au pelage caramel, sort la tête d'une maison en ruine sous la surveillance de sa mère. Ailleurs en Italie les chats des rues sont d'un naturel parfois confiant mais le plus souvent méfiant et préfèrent s'esquiver à l'approche d'un étranger. Ici, ils sont combattifs et ne reculent pas devant l'affrontement, signe qu'en Calabre les conditions de vie sont plus rudes pour les animaux mais aussi pour les hommes.
A Scilla les chats, nombreux, assistent au retour de pêche pour obtenir leur pitance de poissons.