Balzi rossi - la frontière mentonnaise
Balzi rossi (Les Rochers rouges)
Ma mère m'a raconté que lorsqu'elle était petite dans les années trente, elle s'amusait à mettre un pied en France et un pied en Italie. Depuis les accords de Schengen la limite entre les deux pays est devenue plus floue pour les usagers, même s'il y a encore des contrôles.
De Menton, mon premier passage se fit par le Pont Saint-Louis à pied. Avançant lentement, regardant à droite à gauche, mon attitude intrigua le douanier italien qui me demanda mes papiers en anglais ; je fus sans doute la seule personne contrôlée ce jour là ! Au retour les fonctionnaires français demandèrent à voir mon sac : une bouteille de Campari et du chocolat. "Eh bien, vous n'allez pas rouler sous la table avec ça" dit l'un eux en riant et un autre d'ajouter "Oh ! cela dépend de la quantité qu'il prend".
Mais le passage de la ligne n'est pas toujours aussi bon enfant. J'ai assisté par une chaude journée d'été à l'arrestation de trafiquants par la police italienne. Tous les ingrédients d'une bonne série policière étaient présents : course poursuite à une vitesse folle, suivie d'une queue de poisson, arrêt net, mise en joue des conducteurs suivie de l'arrivée d'une myriade de véhicules toute sirène hurlante et sortie musclée des délinquants, dont un jeune en larmes, et d'une belle mallette en cuir.
Je passe la frontière dès que je le peux, tous les jours si possible. Au pont Saint-Louis ou Saint-Ludovic c'est un va et vient continuel : amateurs de cigarettes, d'alcools, cyclistes, motards, promeneurs, randonneurs, clandestins, police aux frontières. tout le monde se retrouve, se croise ou s'évite à cet endroit. Les amateurs de contrefaçons sont particulièrement visés les jours de marché.
Le lieu dit Balzi rossi c'est aussi un avant goût de liberté et de dolce vità. Il suffit de stationner sa voiture à la pinède juste après la frontière et de suivre le chemin...
La promenade prend des airs de retour vers le passé devant les grottes où fut découvert l'Homme de Grimaldi en 1901. Je ne peux m'empêcher d'avoir une pensée pour ces hommes qui, il y a 37 000 ans, vivaient, pêchaient, chassaient ici. Avec un peu d'attention on aperçoit encore leurs graffitis sur les murs. Les anfractuosités de ces falaises striées de rouge leur servaient d'abris et de tombes. Aujourd'hui je prends l'apéritif et des bains de soleil sur les lieux même des premières sépultures de l'humanité. Mais ce qui m'impressionne le plus c'est l'à-pic de la falaise avec là haut, suspendu dans le vide, des cactus agrippés à la paroi. Balzi Rossi, la Grotta , évoquent pour moi, la Côte d'Azur il y a cent ans : des eaux cristallines, des galets qui roulent doucement au gré du clapot, des petites criques pour les amateurs de soleil, une retenue d'eau où, l'été, les enfants s'amusent à attraper des oursins. Plus loin dans les rochers c'est le domaine des naturistes. A peine quelques pas et les parfums d'air iodé et de pinède se mêlent aux chants des oiseaux. Après la plage, le chemin se cabre un peu. Un randonneur le gravirait en trente minutes, pas moi. Je prends mon temps, je veux m'imprégner de ces premières parcelles d'Italie. Tout est calme et respire la chaleur, les rochers, la terre, les plantes.
Le village de Grimaldi supérieur depuis le chemin bordé de plants de siccas.
Les palmiers marquent l'emplacement de la route du pont Saint-Louis
Les plantes sont alignées à même la terre ou sur de longues tables face à la mer. Ce sont des centaines d'agaves, de cactus, d'euphorbes et de crassulacées. En France, toutes ces cultures en terrasses face à la mer ont disparu sous la pression immobilière ; c'est un univers en sursis qui s'étend sous mes pieds. D'ailleurs à quelques centaines de mètres d'ici, des incendies ravagent toujours le même endroit pendant l'été : imprudence ou volonté délibérée ?
Le chemin se poursuit ensuite vers Grimaldi à environ deux cents mètres d'altitude. Son nom vient de la famille princière de Monaco. Le village est minuscule, un café-épicerie et basta. De là haut la vue est imprenable, mais le sentier est beaucoup plus escarpé. Grimaldi est un cul de sac et gare aux imprudents qui, comme moi, s'y aventurent en voiture. Le demi-tour est difficile et le stationnement problématique. Mieux y aller à pied. Au printemps, la montée n'est pas si difficile.
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Le village de Grimaldi superieur a des aspects champêtres avec ses jardinets clos de vieilles barrières
et méditerranéens avec les hibiscus et les bougainvillées.
La Grotta
Situé juste après la frontière italienne c'est un lieu paradisiaque et la vue sur Menton est à couper le souffle. On y accède directement en voiture mais aussi depuis le pont Saint-Louis par un autre chemin juste derrière la voie ferré, connus seulement des habitués tant il est dissimulé. Je l'ai surnommé le chemin des clandestins car parfois on découvre des affaires abandonnées dans les buissons, valises, chemises, miséreux lambeaux d'espoirs
d'un meilleur destin.
Après un début un peu rude, des escaliers, l'on débouche au printemps sur un champ entier de genêts blancs, sur des brassés d'aloès aux fleurs rouge-orangé éparpillées entre les yuccas et les buissons d'euphorbes characias. Cette petite marche se termine irrémédiablement pour moi par quelques minutes de repos à " La Grotta " un petit café dont le nom provient d'un abri préhistorique placé juste au-dessus et évangélisé par une petite statue de la Vierge. Même si depuis 2007, la vue sur Menton est toujours aussi belle, force est de constater que l'ambiance n'est plus la même depuis le changement de gérance.
Jusqu'à cette date, nous étions en famille. Le père au magasin, la mère aux fourneaux et la fille en terrasse sans oublier Oscar, le mainate la célébrité locale. Italien de naissance, Oscar parlait français saluant les clients d'un sonore "C'est beau" ou des premières notes de la Marseillaise. La patronne et sa fille, avec beaucoup de douceur, savaient répondre à toutes exigences des habitués. Le temps y étaient suspendu, j'étais dans un film italien des années soixante.
Chemin du pont Saint-Ludovic à La Grotta bordé de gênets blancs
Via julia augusta
Au plus chaud de l'été, quand la foule s'entasse sur les plages de Menton, il est encore des plages isolées évoquant les rivages du siècle dernier. Il faut abandonner sa voiture dans le parking du Conad voisin, rendez-vous de TOUS les Français de passage, puis marcher vers la France , plus d'un kilomètre pour atteindre la première plage ; descendre sous la route et après un passage au milieu de cannes de Provence, on débouche sur une petite plage de galets presque déserte occupée par quelques pointus de pêcheurs et leur chemin de halage en rondins.
Certains jours, mes seuls compagnons étaient les cormorans qui prenaient le soleil sur les récifs en face. Pour accéder à la seconde plage, il faut parcourir une portion de la via Julia Augusta. C'est toujours avec un peu d'émotion et de respect que je m'y engage. Je m'imagine marcher sur les pas des Romains. Qui sait ? sous ces vieux murs de pierre, il reste peut-être une trace de leur passage, une empreinte, une monnaie ? et puis au-delà des ces montagnes, de ces virages, il y a Rome n'est-ce pas ?
Aujourd'hui, il ne reste rien de romain mais l'endroit est romantique à souhait. Cette promenade m'apaise. De l'autre côté des murs bordés de mimosas et d'eucalyptus quelques demeures du grand siècle, portes et volets clos, semblent endormies. Qu'ont-elles vues, vécues, je l'ignore. Je m'imagine les calèches franchissant leur portail à la nuit tombante pour quelques intrigues.
C'est perdu dans mes pensées que j'arrive près de la dernière plage. Là il faut connaître car l'endroit est situé à l'extrémité d'un lit d'évacuation d'eau de pluie. Il faut le parcourir sur une centaine de mètres et passer sous la voie ferrée. La plage est étroite, serrée entre la Méditerranée et les murs des propriétés. mais elle est déserte à perte de vue. Le paysage ressemble à une aquarelle de Lessieux : pins parasols, galets, mer d'un bleu intense. La côte d'Azur à la Belle Epoque.
La via Julia augusta traverse le Jardin Hambury.