Bari
Après mon retour de Bari, nombreux parmi mes amis s'interrogèrent sur mon souhait de séjourner dans la capitale des Pouilles. Bari à leurs yeux était une ville sombre, sans attrait et surtout dangereuse. Personnellement, j'étais impatient de me retrouver à l'hôtel Boston, un quatre étoiles tout ce qu'il y a d'impersonnel, un de ces hôtels identiques de Stockholm à Tokyo. Après deux nuits atroces passées dans l'étrange Casa Elisabetta à Lecce, Bari représentait pour moi l'assurance de profiter de nuits paisibles. Bari sera pour moi, une ville étape d'où il me sera possible visiter les Pouilles et Matera en Basilicate plus facilement.
C'est sous un ciel menaçant, qui se transformera vite en pluie battante, que j'ai découvert le centre historique. En ce début d'après-midi, ce ne fut que ruelles désertes, portes et volets clos ; seuls un ou deux marchands restaient ouverts. La pluie se faisant de plus en plus insistante, je fus contraint de me refugier dans la salle du bar Città Vecchia piazza Mercantile au coeur de la vieille ville. A part une famille d'Allemands je suis le seul client. La serveuse, la quarantaine, yeux de velours, brune au teint mat m'a repéré de suite et après quelques banalités vient s'asseoir à ma table.
Elle s'appelle Marie-Stella et paraît un peu surprise que je ne vienne pas de Paris. Elle admire les Français. Elle s'imagine que nous sommes tous révolutionnaires dans l'âme à côtés des moutons italiens qui courbent l'échine et s'exécutent quand une nouvelle loi vient d'être votée. Les Français, eux, ont le courage d'élever des barricades, de mettre le feu aux voitures. A ses yeux ce sont autant d'actes de bravoure, la démocratie dans la rue. le slogan "sous les pavés la plage" n'est pas loin. Nous parlons de l'insécurité de Bari. C'est vrai dit-elle mais depuis que la municipalité à installé deux casernes de carabiniers dans la vieille ville, la situation s'est améliorée.
Basilique San Nicolas - façade et nef.
Les heures passant, la pluie s'est calmée et la basilique Saint-Nicolas a ouvert ses portes. C'est un bel édifice roman aux volumes épurés ; derrière le splendide ciborium deux statues de femmes nues alanguies attirent mon attention. Plus récentes, elles tranchent avec la sobriété des lieux. Dans la crypte, éclairée par une douce lumière des peintures retracent la vie du saint, on chuchote, on prie, les fidèles se recueillent et se prosternent devant ses reliques. Devant la Cathédrale Saint-Sabin à quelques pas de là, des employés s'activent après la pluie. On balaye le parvis, on déploie le tapis rouge et l'on fleurit le portail et la nef. A Bari, et dans les Pouilles on se marie en semaine après le travail vers 18h00.
Le soir venu, je m'égare dans la vieille ville à la recherche d'un restaurant piazza Mercantile. Un riverain discutant avec le barbier s'aperçoit de mon désarroi et, malgré la pluie, se propose de me guider à travers les ruelles jusqu'à ma destination. Je choisis All Antico Molo via Re Manfredi pour dîner, charmé par le cadre rustique et chaleureux du lieu avec ses poutres apparentes où sont accrochés jambons et saucissons. Le patron et sa femme, au verbe haut et au grand coeur, devant mon ignorance face à la cocché - une spécialité locale - se propose de m'en offrir une en guise d'amuse bouche. Il s'agit d'une foccacia garnie de rucola et de tomates cerise crues. All Antico Molo les appétits d'oiseaux n'ont qu'à bien se tenir, les portions sont gigantesques et roboratives. Ma seule sfumiccata (du fromage fumé fondu garni de thon et de tomates) m'aurait suffi.
A l'entrée du vieux Bari l'on prépare des grillades au profi de la paroisse
Je reviendrai deux jours plus tard pour un repas plus léger composé d'orrechiette alla san Giovanni, des pâtes locales garnies de câpres, d'anchois et de rucola. Entre-temps j'aurais dîné à la Locanda di Frederico piazza Mercantile, un des meilleurs restaurants de la ville. La serveuse me met immédiatement en garde devant les antipasti : ils sont très abondants. Qu'on en juge : flan de fèves à la sauce chicorée, moules farcies, légumes grillés, mozzarella, ricotta, taboulé de poulpe, champignons crus, carpaccio d'espadon, j'en oublie peut-être. Ils seront suivis d'un filet de poisson au vin blanc, léger et très fin ; le tout pour 40€ avec eau, vin et digestif pour deux.
A la sortie du restaurant, les rues désertes se sont remplies au fil des heures. A 23 heures, ça grouille de monde (visionner la passegiatta). Certains cherchent un restaurant, d'autres en sont encore à l'apéritif en terrasse. Dans le sud de l'Italie on dîne tard. Les places sont devenues des terrains de jeu. Les plus petits font du vélo, jouent à la balle tandis que les adultes s'attroupent aux terrasses pour suivre un match de foot entre Bari et Napoli.
Plus qu'à Rome, comme à Naples, nous sommes ici au coeur de l'Italie. Ces cris, ces apostrophes au verbe haut, ces rires, cette nervosité, l'accueil, la générosité incarnent ici, à Bari, plus qu'ailleurs en Italie, l'esprit du Sud.