Les champs phlégréens
La Solfatara - Pouzzoles - Cumes
"Pour Pouzzoles, ligne bus ANM n° 152 depuis la place de la gare de Naples" est-il écrit sur mon guide. Belle occasion de vérifier ce que certains appellent l'approximation latine. Planté devant l'abribus depuis 30 mn, les habitués me confirment que le n°152 passe toutes les 20 mn. Pour le retour de Pouzzoles à Naples, le discours sera plus évasif : "Le 152, il passe toutes les vingt minutes" me dit le propriétaire du kiosque à journaux sur le port de Pouzzoles avant de préciser. "En fait, il n'a pas vraiment d'horaire, mais si vous ne l'avez pas vu, c'est qu'il va arriver." Il arrivera en effet après 1h20 d'attente.
La Solfatara
Le bus me laisse à quelques mètres de l'entrée du site de la Solfatara. Au premier abord rien n'indique que l'on arrive à l'une porte de l'enfer comme le pensaient les Romains. Rien à voir non plus avec l'étymologie grecque des champs Phlégréens, " flegraios", flamber. Arbres, arbustes, herbes fraîches, fleurs de printemps remplis de chants d'oiseaux et de bruits d'insectes bordent le chemin menant au volcan. Et, brusquement à un tournant, la vision s'élargit sur un paysage désolé de tuf et de trachytes d'un blanc immaculé parcouru de fumerolles.
En tournant sur moi-même, je prends conscience que je suis au centre du cratère, sur un immense bouchon qui ne demande qu'à sauter. D'énigmatiques triangles en aluminium sont parsemés ça et là. Ce sont des réflecteurs satellites. Ils mesurent les oscillations du sol qui peut atteindre plusieurs centimètres par an.
Il y a peu de touristes et un ou deux groupes scolaires. Au milieu de cet espace vide nous ne sommes pas plus importants que des fourmis, en tous cas aussi insignifiants comparés aux forces en jeu sous nos pieds. Ce sol justement, est chaud, 30° - 40°c peut-être, sur les fumerolles principales la température monte en flèche. Une imprudence, voulant prendre une photo je pose le talon sur un de ces minuscules orifices aux bords noircis et aussitôt je sens une vapeur brûlante me parcourir la jambe. Sur les fumerolles principales dont le public est tenu à distance respectable par des barrières, les gaz sont éjectés à une pression de 15 mbar et à une température de 160°c.
Après la verdure, c'est une étendue désolée de tuf qui s'offre aux yeux du visiteur
les gaz de la fumerolle principale atteignent 160°c.
A proximité de la grande fumerolle, je suis noyé dans les gaz ; le bruit ressemble à celui d 'une cocotte-minute, les pierres sont recouvertes d'une épaisse couche de soufre orangé. Impressionnant et apparemment sans danger puisque jusqu'au XIX e siècle on venait ici soigner ses maladies respiratoires. Devant un tel spectacle on ne peut blâmer nos ancêtres d'y avoir vu l'accès aux enfers ; c'était la preuve matériel que l'enfer existait bel et bien.
Moins spectaculaire mais tout aussi impressionnant, ces cuvettes de boues, les fangaia à 140°c, seuls vestiges de l'immense bassin boueux asséché à la fin du XVIII e suite à une sécheresse exceptionnelle. Un panneau explique qu'elles sont utilisées dans les cosmétiques mais aussi qu'elles abritent une espèces d'archées, une forme de vie primitive proche de la bactérie, Solfolobus sulfataricus . Depuis j'ai aussi appris dans un magazine de vulgarisation scientifique qu'on y a aussi découvert un étrange virus qui n'a pas besoin d'une cellule hôte pour se métamorphoser.
A l'orée du cratère, le café du camping voisin, une petite cabane en rondins ressemble à un havre de vie après 2h00 passées au centre de ce cratère lunaire. La caffé y est à l'image de la Solfatara, un peu rude. Mais l'accueil à la bonne franquette du personnel, la quiétude, la joie de retrouver les plantes, le chant des oiseaux, la douce chaleur à l'ombre des acacias après les températures infernales contribuent à lui donner un charme inestimable.
Temple de Serapis à Pouzzoles
Pouzzoles
Au premier abord la commune de Pouzzoles paraît être une cité laborieuse : bâtiments de l'après-guerre aujourd'hui vétustes et une partie de la population semble désoeuvrée. Ces disoccupati , comme les appellent les Italiens, se rassemblent dans le voisinage du temple de Sérapis. Sous le soleil de midi, trois colonnes fièrement dressées bravent les assauts du temps et les effets du bradyseisme, ce lent mouvement du sol de bas en haut du à la pression volcanique, qui inondent régulièrement leurs bases. Sur les eaux stagnantes aux reflets chatoyants surnagent des algues d'un vert magnifique. En fait de temple, il s'agit du marché de l'antique Puteoli romaine et ce que nous prenons pour un temple circulaire était un pavillon abritant une fontaine ; seul un autel était dédié à Sérapis.
Un peu plus loin figure un pur joyau : l'amphithéâtre flavien bâti pendant la première moitié du I er ap. J.-C. sous l'empereur Vespasien. C'est le troisième par sa taille sur le territoire italien, il pouvait contenir 40 000 personnes. Prisonnier des débris projetés par la Solfatara, il ne fut découvert qu'en 1839.
Vues du sous sol de l'amphithéâtre de Pouzzoles
Après en avoir fait le tour, je m'impatientais d'entrer dans l'arène pour ressentir la solitude du combattant au centre de cet immense espace. Et puis vers la sortie, la rampe d'accès au sous sol, 7 mètres plus bas. Merveilleux. Peut-être est-ce le soleil, les jeux d'ombres et de lumières, les raies de lumières qui pénétraient par les trappes qui servaient à hisser les fauves dans l'arène, cet amphithéâtre me fit un effet très différent du Colisée. A Rome, en dépit du monde, des éclats de rire des touristes, je fus immédiatement saisi par un frisson en pénétrant sous les immenses voûtes : l'endroit sentait la mort. Pas à Pouzzoles, j'eus beau me remémorer mes connaissances sur ce type d'ouvrage, me représenter les rugissements des fauves, le bruit des armes, les grincements des mécanismes de levage, les cris des gladiateurs ensanglantés et du public. Rien n'y fit, j'étais sous le charme.
En quelques minutes les scènes antiques avaient disparu ; je songeai aux oeuvres des artistes de la fin du XVIII e qui firent leur grand tour en Italie devant tant de nuances de rouge-brique, tant de jeux de perspectives, ces fûts de colonnes, ces chapiteaux posés là comme pour servir de motifs à un aquarelliste. Impossible de me détacher des lieux. A la sortie, un petit musée lapidaire en plein air avec des fragments de statues, des frises décorées d'armures et de trophées apportent un petit plus d'information sur la décoration des lieux à l'époque.
Cumes
Après près de 20 mn de route, le bus de Pouzzoles franchit l'Arco Felice, cette porte monumentale romaine, marquant la limite de la cité antique de Cumes ; dès lors la route est bordée de fragments d'antiques murailles. Cinq minutes plus tard, le bus me laisse au milieu de nulle part. Force est de constater que cet important centre archéologique n'est pas des plus visibles. Passé l'entrée, il faut longer un chemin d'environ 500 mètres pour arriver à l'antre de Sybille. Là commence la véritable découverte. Sybille fut l'une des prophétesses les plus célèbres du monde antique, Virgile en parle dans l'Enéïde. Enée lors de son arrivée en Italie rendit visite à la Sybille qui lui prédit la grandeur à venir de Rome. Pour arriver à l'endroit où les oracles étaient délivrés, il faut parcourir une galerie souterraine taillée dans le roc de 180 m. éclairée par endroits par des lucarnes. Au fond, une salle bipartite munie de bancs en pierre ; dans le sol et sur les murs subsistent encore les encoches où l'on fixait les torches, des rideaux ou des linteaux de bois. J'essaie d'imaginer la pièce avec Sybille assise dans ce qui ressemble à une cella ou un autel, la solennité que devait revêtir le fait de pénétrer dans cet endroit aujourd'hui désert. Visiter l'un des sanctuaires les plus sacrés du monde antique même réduit à sa plus simple expression, cela reste émouvant.
Pour monter vers l'acropole il faut suivre une portion de voie romaine aujourd'hui bordée d'oliviers. Du sommet on domine la mer et le chantier de fouilles. On prend alors conscience de l'étendue de la ville et de ce qu'il reste encore à découvrir. Après avoir vu Pompéi et Herculaneum, l'on devient plus exigeant. Je dois me contenter des bases des colonnes du temple D'Apollon, de son complexe et de quelques voûtes du temple de Jupiter. Les fonds baptismaux de ce dernier conservent encore quelques fragments de son placage en marbre, derniers vestiges de sa grandeur passée. Ici, la nature reprend ses droits, les arbres, les arbustes envahiraient les ruines si quelques gardiens n'y prenaient garde. Fallait-il choisir Baia et ses thermes romains ou le parc archéologique de Cumes pour mon excursion de la journée? Telle était ma réflexion en redescendant de l'acropole quand un nom sur un panneau explicatif attira mon attention : Misene. Misene était là, toute proche, ce nom me disait quelque chose mais quoi ? Et d'un coup, tout s'éclaircit. Oui, mais c'est bien sur ! C'est de Misene que partit la flotte de Pline l'Ancien en 79 ap. J.-C. lors de l'éruption du Vésuve. En un éclair, le trajet de la flotte que j'avais tant de mal à me représenter devenait clair : la vision de l'éruption par Pline, le temps de navigation, le trajet, les vents contraires. La géographie antique de la région devenait limpide. La Sybille de Cumes m'avait apporté la révélation.