Procida, la Corricella
Derrière ce nom mélodieux se cache la moins connue des îles de la baie de Naples. C'est ici que Lamartine situe son idylle avec Graziella, une jeune corailleuse de Procida. "Un jour, elle m'emmena dans sa chambre pour me faire admirer les petits ouvrages qu'elle avait tournés et polis. Elle voulut en façonner un morceau devant moi. La poussière rose couvrait ses mains et volait quelquefois jusqu'à son visage, saupoudrait ses joues et ses lèvres d'un léger fard, qui faisait paraître ses yeux plus bleus et plus resplendissants. Puis elle s'essuya en riant et secoua ses cheveux noirs dont la poussière me couvrit à mon tour" écrit-il.
Lamartine et Graziella vécurent leur amour dans les criques, les rochers, dans les abris de pêcheurs de Procida pendant plusieurs mois jusqu'au départ de l'écrivain à l'automne. Aux premiers jours du mois de novembre Lamartine reçu un colis. "Il renfermait dans une enveloppe une dernière lettre de Graziella qui ne contenait que ces mots : "Le docteur dit que je mourrai avant trois jours. Je veux te dire adieu avant de perdre mes forces. [...] je te laisse mes cheveux, coupés une nuit pour toi. Consacre-les à Dieu dans une chapelle de ton pays pour que quelque chose de moi soit auprès de toi."
Procida, comme dans le roman de Lamartine, a deux visages : paisible avec ses vallons verdoyants, fertile avec ses vignes et ses vergers d'agrumes, paradisiaque avec ses petites plages protégées des vents dominants ; mais aussi tragique quand se lève les tempêtes qui brisent les barques contre les récifs ou lorsque que le Vésuve la soumet à ses caprices.
Nous étions ce matin là plus de deux cents à embarquer sur l'aliscafo pour Ischia et une poignée à débarquer à Procida. Combien parmi eux avaient une pensée pour Graziella. Aucun sans doute, et surtout pas ce chien libre de Naples qui s'offrait, comme moi, une journée dans les îles. A Naples il a embarqué comme simple passager sous l'oeil indifférent des matelots et, le soir, il repartira sur le même bateau pour le continent.
En arrivant de Naples, c'est le silence qui étonne d'abord. Aucun bruit, pas de cris, pas de klaxons, juste le frémissement de la brise dans la mâture des bateaux et le clapotis des vagues. Puis, il y a l'air d'une douceur exquise ; moins acide qu'à Naples et plus reposant que sur les autres rivages. Laissant les pêcheurs à leurs filets, j'arpente les quais bordés de maisons aux façades roses et jaunes avant de m'enfoncer dans les “ petites rues solitaires enfermées entre des murs antiques, au-delà desquels s'étendent des vergers et des vignes qui semblent des jardins impériaux.” (E. Morante l'Ile d'Arturo) pour découvrir un palais au portail entrouvert découvrant un escalier au fond d'une courette aux murs passés au lait de chaud. "La Grèce" me suis-je dit.
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Terra Murata à Procida
Mon impression se renforcera quand, depuis le bourg de Terra Murata, le point le plus ancien et le plus élevé de l'île, j'aperçus le petit port de la Corricella. Pour y accéder, il faut prendre un Vespa taxi ou un minibus tout chemin. Le chauffeur roule à tombeau ouvert ; ça trinquaille, ça brinqueballe ; ça vibre et ça freine quand le passage devient trop étroit ou qu'un véhicule bouche le passage. Il a fallu attendre plusieurs longues minutes pour dégager un scooter dans une ruelle. Un fois l'engin hissé sur le perron, nous sommes passés à quelques centimètres près.
A la Coricella on cultive la mémoire, non pas de Graziella, mais del Postino, le film avec Ph. Noiret racontant l'amitié d'un facteur et de Pablo Neruda en exil. Les accessoires du film sont exposés à la terrasse des cafés. Ici, le vélo, là, la besace.
Il est vrai qu'ici le temps s'est arrêté. A part quelques chats jouant avec les filets de pêche rien ne bouge. Tout est lumière.
Une lumière blanche dans un air pur qui exalte les couleurs. Les blancs sont plus blancs, les roses plus roses, les jaunes plus jaunes. La moindre tâche colorée est comme sublimée : le bordage d'un bateau, la teinte violine d'une bougainvillée.
Aucune maison ne dépasse l'autre, elles forment une ligne parallèle à la mer ; parfois une travée de couleur différente coupe l'unité ambiante. Les bleus et les ocres se repoussent pour faire ressortir les volumes. Peut-être afin que les pêcheurs reconnaissent plus facilement leur maison depuis le large. Les rez-de-chaussée sont transformés en restaurant. En fin de saison le personnel est plus disponible. Les habitants de Procida aiment leur île et se montrent accueillants envers ceux qui l'apprécient aussi. Ici pas de grands hôtels ni de complexe hôtelier. La patronne d'un café me désigne l'emplacement où, jadis, se trouvait la maison de Graziella, là bas de l'autre côté du port aggripée à la falaise.
Le petit port de la Corricella
Devant ma pâtisserie et mon café je regarde doucement défiler le temps. Ici on savoure chaque instant, l'air doux qui remplit mes poumons, cette étincelle de lumière sur une vague, cet éclat de peinture blanche sur une façade d'or. Même les chats ne bougent pas lorsque les pigeons viennent les observer de près.
Sur le chemin du retour deux amoureux s'embrassent sur leur scooter sous le linge étendu. Je les aperçois à contre-jour, comme dans une vision, un souvenir.
"Pauvre Graziella ! [...] je ne sais pas où dors ta dépouille mortelle, même si quelqu'un te pleure encore dans ton pays ; mais ton véritable sépulcre est dans mon âme.[...] Il y a toujours au fond de mon coeur une larme qui filtre goutte à goutte et qui tombe en secret sur ta mémoire pour la rafraîchir et pour l'embaumer en moi". (Lamartine)
Terra Murata
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