Sant'Antioco
Lorsque l’on quitte la Sardaigne pour accoster sur l’île voisine de Sant’Antioco, c’est un empilement de maisonnettes roses comme les flamants de sa lagune qui s’impose à la vue. Je m’imaginais des lacis de ruelles bordées de maisons de pêcheurs avec des vieux marins à leur porte. L’image était trop belle, trop convenue aussi. Sant’Antioco alors appelée Sulki, fut dès l’antiquité un port phénicien et punique important pour le chargement de minerais ; Ptolémée la surnommait “insula plumbaria”, l’île du plomb.
Ce qui m’a frappé en arrivant via Roma c’est cette allée de platanes qui recouvrent entièrement la rue, la plongeant dans la pénombre y compris pendant le solstice d’été. A l’exception du front de mer, Sant’ Antioco est traversée par une unique artère, la via Vittorio Emmanuele, qui remonte vers le centre ancien vers la basilique puis vers la route de la Calasetta. Une ville restée à dimension humaine.
Square Umberto le centre de Sant_Antioco.
C’est là, à deux pas de la basilique que se trouvait ma chambre d’hôtes “B&B Berenice”, agréable, ouvert sur un jardinet et la campagne, avec l’accueil chaleureux d’Efizia qui participera à la réussite de mon séjour. J'appris plus tard que ma chambre d'hôtes ne devait pas son nom à la fantaisie de sa propriétaire mais à Bérénice, maîtresse de Titus, qui dut repartir en Galilée en 79 après J.-C. D'après la tradition locale c'est elle qui aurait fondé les fabriques de byssus en Sardaigne. “Beronice” est aussi la seule inscription extraite des catacombes de Sant'antioco.
Il ne se passa en effet pas beaucoup de temps pour m‘apercevoir que ce centre ancien près de la basilique à la façade rouge sarde est entièrement bâtie sur des tombes. Sous la basilique courre un réseau de catacombes qui rejoint les sous-sols des maisons jusqu’à la limite du tophet phénicien.
Le tophet de Sant’Antioco
Alors que j’étudiais l’archéologie, la découverte des tophets dans une salle enfumée à plusieurs milliers de kilomètres de l’Italie ou de la Tunisie m’avait beaucoup intrigué. Un Tophet désigne un lieu où l’on sacrifiait des enfants aux dieux Tinnit et Baal Hamon en les brûlants vifs. Les archéologues ont longtemps été partagés entre les partisans des sacrifices et ceux d’un simple cimetière d'enfants. Depuis quelques années on sait maintenant – jusqu'à preuve du contraire – qu’il s’agit de cimetières et que l’on n’y pratiquait pas de sacrifices de nouveaux nés (dossiers d’archéologie n°356 mars/avril 2013 sur la petite enfance dans l’antiquité). Les tophets rassemblent les restes des nourrissons pas encore sevrés, considérés par les anciens à la frontière de deux mondes, celui des dieux et des hommes. Le tophet est donc à la fois un cimetière et un sanctuaire.
Leur destination, cimetière d’enfants ou lieu de sacrifice, leur rareté – il en existe qu’en Tunisie et en Sardaigne (notamment à Sant’Antioco et à Nora) – avaient piqué ma curiosité. En revanche, je ne connais toujours pas les raisons qui poussèrent les Phéniciens à établir le tophet à cet endroit, sur cette île entre les VIIIe et IIe siècles av. J.-C. Etait-ce en raison de son isolement, de son caractère sacré ? La vie y étant d’une douceur et d’une tranquillité hors du commun, je me range à la seconde hypothèse.
Après la visite du musée, de riches collections dans un décor ultra moderne mais aussi mortel qu'une tombe, le visiteur a le droit de parcourir le tophet à proprement parlé qui s'étend sur plusieurs hectares. Des dizaines d'urnes en terre cuite avec les restes incinérés de nourissons sont disposées à même le sol. Certains sont d'origine, d'autres (la majorité) des reconstitutions.
La basilique de Sant'Antioco
Statue de Sant'Antioco et entrée des catacombes.
Les limites du tophet se confondent avec celles des catacombes. On y accède par la basilique Sant'Antioco. La visite dure une trentaine de minutes dans une atmosphère humide où l'on enjambe quelques squelettes. Seule une partie est visible, l'ensemble des galeries n'ayant pas encore été totalement fouillé. Le réseaux s'etend sous toutes la ville. Près du tophet, une partie des catacombes servaient d'habitations aux familles les plus démunies au siècle dernier.
La ville de Sant'Antioco et sa basilique en particulier sont élévées à l'endroit même où, selon la légende, Antioco rendit l'âme dans une lumière éblouissante lors de son arrestation par les soldats romains en 127 ap. J.-C. Est-ce l'isolement de la ville sur un îlot voisin de la Sardaigne, il règne ici une quiétude, une sérenité que je n'ai pas trouvé ailleurs en Italie, même en Sicile. qui m'évoque cette micro atmosphère de village des vieux films italiens.
Le touriste est immédiatement repéré : “Da dove viene ? Ah Francese ! da Parigi ?” – “No da Nizza”. Les Sardes ne sont pas indiscrets, s'ils vous questionnent c'est par amabilité ,et un peu par curiosité. Il semble que la quiétude de la terre les influence. J'ai été très étonné à Iglesias et à Sant'Antioco de voir des bambins de 3 ou 4 ans courir dans les rues sans surveillance. Des groupes d'enfants qui jouent en toute insouciance dans les rues de la vieille ville tandis que leurs parents les surveillent d'un oeil depuis le premier étage ou la terrasse d'un café.
A San Antioco les restaurateurs sont fiers des plats qu'ils proposent. Certes en Sardaigne, on sert du cheval, mais ici se sont davantage des produits de la mer : A la Fenice la serveuse me vante ses antipasti della terra, excellents, et ses trofie aux oursins. “Chez Pierre” ce sera des petites pâtes aux aubergines et mozzarella délicieuses.
Calasetta
Juste à la sortie de San Antioco commence la route pour Calasetta. Quinze minutes en voiture au milieu du maquis où le parfum des herbes se mélangent à celles de la Méditerranée. La ville fut crée en 1769 pour la population de Tarbaca en Tunisie. Ces pêcheurs originaires de Pegli près de Gènes furent réduits en esclavage à la suite de la prise de la ville par le bey de Tunis en 1741 ; une partie d’entre-eux s’installa dans l’actuelle Calasetta. Calasetta a donc été bâti ex-nihilo, ce qui explique son plan à damier avec ses rues qui se croisent à angle droit. La majorité des maisons ici ressemblent à celles de Tunisie et particulier à celle de Sidi Bou Said avec leurs façades blanches et leurs fenêtres bleues. Au zénith cela en devient presque éblouissant, le blanc est saturé de lumière.
Selon la brochure distribuée par l’office de tourisme à l’aéroport à mon arrivée, Calasetta sent le matin la fougasse et le pain frais. En guise de d’odeur de boulangerie, j’ai profité de celles de l’air iodé et des plantes marines. Le nom de Calasetta signifie “cale de la soie” car on y trouvait de nombreux Pinna nobilis. J’ai retrouvé sur le rivage, le caractère sauvage des côtes de ma jeunesse ainsi que de nombreuses plantes du bord de mer que je croyais disparues, ou du mois qui n’existent plus où je vis, grignotées par l’urbanisation.
La criste marine (le casse-pierre ou fenouil de mer) dont le parfum me ramène à ma petite enfance, des petits mésembryanthèmes, des lichens dorés, des ajoncs nains et d’autres plantes grasses. Malgré la chaleur, les végétaux sont blottis dans des anfractuosités, présentent des aspects en coussins ou des formes de nanisme qui révèlent le caractère éventé du lieu.
Lors de mon passage au début du mois de juin, Calasetta était plutôt endormie. La majorité des commerces étaient fermés ou en travaux à l’approche de la saison estivale. Les restaurateurs montaient leur terrasse sur la rue ou repeignaient leur devanture. Presque seul dans la rue piétonne, je m’imaginais les salles bondées, la musique, les chants, les cris des clients.
Les amoureux de la nature choisiront l’avant saison pour son calme et les grands espaces vierges ; ceux préférant les charmes de la Dolce vità, les chaudes nuit d’été.
Eglise de Calasetta.