Noli
A l’ombre de Gènes, une autre république maritime est blottie dans une anse de la côte ligurienne. C’est Noli. De voiture, en passant rapidement, elle ressemble à tous les autres ports de pêches devenus stations balnéaires comme Dario Marina, San Lorenzo ou San Stefano al Mare. Mais à mieux y regarder, il y a quelques différences…
L’église San Paragorio a immédiatement attiré mon attention. Mon flair d’archéologue et d’historien de l’art a été mis en éveil par ses formes romanes, la silhouette de son chevet, la patine de ses pierres. A l’entrée des fresques finissent de s’effacer, des fragments de visages éclatés par les siècles ; au sol des pierres tombales s’enfoncent dans le sol sous le poids des années ; le granit est rongé par la mousse, les embruns et le temps.
L’église est de style roman lombard. Si le porche est gothique du XIIIe siècle, l’édifice remonte au XIe siècle. C’est l’un des plus anciens de Ligurie. La date de construction a été datée par les vasques en céramique d’origine islamique (nord africaine et sicilienne) intégrées dans le chevet. En 1239, l’église est élevée au rang de cathédrale. Elle le conservera jusqu’en 1572.
Crypte ossuaire de l'église San Paragorio de Noli.
A l’intérieur, les bancs des fidèles sont toujours là, un napperon est disposé sur l’autel mais la nef ressemble à une réserve archéologique. Des vasques musulmanes sont exposées dans un coin de la nef tandis que dans un coin, les restes de la première nécropole paléochrétienne sont visibles. Ils s’étendent à l’extérieur. C’est dans ces gigantesques fonds baptismaux que les premiers chrétiens épousaient la foi du Christ. A l’époque on ne se contentait pas de quelques ablutions, la presque totalité du corps était immergée. La chaire d’origine est ornée de motifs de la même époque et le siège épiscopal médiéval au damier rouge et blanc des Savoie est resté en place. L’autel baroque est ceinturé des solides grilles pour le protéger des vandales – pas ceux qui envahirent l’Europe du Sud il y a 1500 ans, ceux d’aujourd’hui avec les bombes de peintures.
J’ai un faible pour ces églises anciennes qui plient sous le poids des siècles. Les fissures, l’érosion des pierres, leur désaffection par les fidèles, leur isolement, leur donne un air romantique qui me rappelle les gravures anciennes. Je pense souvent à l’artisan ou au peintre du Moyen Age (ou Romain à Pompéi) en regardant ces chapiteaux sculptés. Imaginait-il que son œuvre traverserait aussi bien les époques ?
Sous le chœur de l’église San Paragorio, la crypte abritait un ossuaire. La lumière y pénètre indirectement par une étonnante grille de pierre. Au XIIIe siècle, l’église était prise dans une enceinte qui suivait la colline jusqu’au château seigneurial bâti au XIe siècle. Le donjon est toujours bien droit prêt à surveiller la mer et à protéger la petite république maritime de Noli.
L’intérieur de la ville était aussi fortifié. Outre les remparts on y comptait quatre-vingt maisons fortifiées avec des tours de trente à quarante mètres de haut ; toutes élevées entre les XIIe et le XIVe siècles. Quatre cents ans plus tard, elles avaient déjà presque toutes disparues. Aujourd’hui, il n’en reste que huit.
Noli et son château. Au premier plan, une des tours de Noli. Il en reste huit. Il y en avait près de quatre-vingt.
Je connais ces tours. En Ligurie, en Toscane, à Rome, elles permettaient de guetter la venue d’un éventuel assaillant et de pouvoir donner l’alerte en temps voulu. A l’intérieur des cités, elles marquaient les limites d’influence de chaque clan et de contrôler le passage d’un quartier à un autre. Chaque grande famille avait la sienne. A Gènes par exemple, ces tours servaient à l’occasion de refuge lors de l’attaque d’une famille ennemie. Dans les combats entre Guelfes et Gibelins plusieurs d’entre-elles furent détruites. A Noli, ces maisons-tours protégeaient à la fois ses occupants des pirates et des clans adverses.
On les reconnaît facilement à leur rez-de-chaussée en pierre de taille et à leur porte en ogive. Les étages supérieurs étant en brique.
Ces constructions témoignent aujourd’hui de la richesse passée de Noli, contrairement à Diano Marina, Loano ou bien d’autres cités du bord de mer qui n’étaient que des villages de pêcheurs.
A l’entrée, les touristes doivent passer près de la loggia della Repubblica, siège de l’ancienne chambre de commerce où l’on exposait aussi les prisonniers soumis à la torture.
Peinture dans la cathédrale San Pietro de Noli.
On reconnaît la silhouette de la cathédrale et une maison-tour.
Cathédrale San Pietro de Noli.
Nef et Christ monumental.
Le jour de ma visite, la cathédrale de San Pietro était le seul édifice religieux ouvert. Dans cette partie de la Ligurie, des crucifix monumentaux sont disposés dans la nef. A Loano le Christ est sculpté dans du bois noir. Ici, deux Christ en douleur se font face. A la Saint-Jean et lors de certains fêtes religieuses, ils sont portés en procession. Plusieurs toiles du XVIIIe siècle sont marouflées sur les murs. L’une d’elles représente l’arrivée du corps d’un évêque dans la ville. On y voit clairement les remparts de la ville et une maison-tour ainsi que quelques voiliers.
Aujourd’hui sur la plage, il ne reste plus que les barques des pêcheurs et les goélands ont remplacé les touristes.