Alberobello
La terre des Pouilles d'un beau ocre rouge est généreuse. Outre les céréales, ses oliviers produisent des fruits à la pulpe charnu et au goût prononcé, ses vignes donnent un vin charpenté aux arômes puissants, ses fèves sont servies sous forme de flancs accompagnés d'une sauce à la chicorée.
Le sous sol abonde d'un calcaire qui se délite et se taille facilement dont les habitants entourent leurs parcelles et construisent leurs maisons. Du simple abri de berger à l'habitation, les campagnes sont parsemées de ces drôles de maisons au toit pointu. Ce sont les trulli.
Le terme trullo évoque la coupole. Au Ier siècle ap. J.-C. le terme de trullus désigne un ciboire et son couvercle en forme de coupole ; en 691 le concile Quiniserto de Constantinople est connu sous le nom de Concilium in trullo car il se déroula dans la chapelle du palais impérial surmontée d'une coupole.
Si certains évoquent une origine magique à la forme si particulière de ces maisons, celle-ci procède davantage de la simplicité de la mise en oeuvre. Il s'agit d'un cylindre ou d'un carré de pierres sèches (assemblées sans mortier) surmonté d'une voûte à encorbellement. Chaque pierre de l'assise supérieure débordant légèrement de l'assise inférieure, l'espace à combler allant en se rétrécissant au fur et à mesure que l'édifice prend de la hauteur. En France, dans les environs de Gordes, les borries sont construites sur le même principe mais avec des toits à deux pans.
Avenue G. d'Annuzio d'Alberobello
Habitations hier, aujourd'hui boutiques.
D'après une légende, le comte Giangirolamo II régnant sur ces terres, héritier de la Maison des Acqua viva, donna asile à des malheureux qui construisirent ces maisons. Mais pour ne pas payer d'impôts au roi, il ordonna de les construire sans mortier afin de pouvoir les démonter facilement en cas d'inspection de l'envoyé royal. Pour abattre le toit pointu, il suffisait de l'entourer d'une corde et de tirer. Les habitants lassés de voir leurs habitations régulièrement détruites s'en remirent au roi pour échapper aux Acquaviva. Dès lors les trulli furent élevés avec du mortier et les murs furent chaulés.
Passé la partie moderne d'Alberobello, on domine en arrivant de la gare une forêt de toits pointus et l'on se dit que l'on a découvert le village des elfes et des lutins de notre enfance. Et, s'enfonçant dans les ruelles tortueuses, on s'attend à voir sortir l'un d'eux de sa drôle de maison pour vous accueillir dans cet endroit féérique. Au lieu de cela, c'est un commerçant qui vous invite à découvrir sa boutique dans l'espoir de vous vendre une confiture, un alcool local ou des orechiette, ces pâtes typiques des Pouilles.
Une fois à l'intérieur on est surpris de l'espace. Je m'attendais à trouver une pièce unique. Mais non, ce massif quadrangulaire abrite diverses zones réservées au sommeil, à la cuisine, à la réception. Les murs, très épais, de plus d'un mètre de large, isolent parfaitement les pièces de la chaleur de l'été et du froid pendant l'hiver. Pas étonnant que certains trulli aient été transformés en chambres d'hôtes grand luxe.
Je préfère m'attarder à l'extérieur pour apprécier l'élégance des courbes des toitures, la maitrise de l'appareillage des pierres au centimètre près et étudier ces symboles mystérieux sur les toits. Pour certains ces signes ont des origines phalliques, attribut de la fertilité ; d'autres, plus pragmatiques, y voient la signature du maitre d'oeuvre ou un signe de reconnaissance lié au propriétaire de la demeure. D'autres trulli arborent des symboles chrétiens ou païens, sensés conjurer le mauvais sort. Angello Martellotta, auteur d'un livre sur Alberobello (voir la bibliographie) les classe en quatre catégories : les signes d'origine hébraïque, zodiacale, solaire et chrétienne. Quelques propriétaires ont aussi peint des outils, des fruits, ou leurs initiales.
Ce trullo est double. C'est le seul à Alberobello. Il appartenu à deux frères.
Au sud du Largo Martellotta, via d'Annuzio se trouve la partie la plus touristique avec les boutiques de souvenirs. Au sommet de la colline, l'église élevée en 1925 avec la même technique que les trulli domine le village. Il faut quitter les rues principales et s'aventurer dans les ruelles pour retrouver l'impression féérique du début. Les trulli débarrassés de leurs enseignes publicitaires semblent plus petits et issus d'un conte de Grimm. Parfois du linge pendu ou un vélo d'enfant rappellent que des habitants résident ici.
Au nord du Largo Martellotta, à l'Est du Corso Vittorio Emmanuelle, les touristes se font plus rares et pourtant, ici, les trulli sont superbes et ont conservé toute leur authenticité. Un boulanger travaillait dans l'un d'eux, on distingue par le soupirail l'ancien fournil. Plus loin, un autre servait de prison. Quelques impasses sont condamnées car des trulli menacent ruines. Belle occasion de regarder de plus près les toits et les parements des murs.
A la fin de la journée, on regrette de n'avoir pu passer au moins une nuit dans une de ces petites maisons afin de s'imprégner de l'esprit des lieux. Et, dans le train du retour vers Bari, en regardant ces trulli isolés en pleine campagne, on se prend à rêver de farfadets et esprits des bois à moins que ce soit de la vie simple et rudes des paysans de jadis au milieu des oliviers.