Le Lac majeur - Isola Bella
Quelle émotion ! la voiture file sur l'autoroute au milieu des rizières vers Gravellona Toce, la sortie du Lac Majeur, sur les terres de mon ancêtre Jean-Marie Margeli. En cette matinée maussade de mars, j'allais enfin peut-être, percer le secret de ma famille, celui conservé depuis 1782.
Je n'oublierai jamais mon arrivée à Verbania. La ville déserte encore engourdie de sommeil, la neige sur les montagnes, les brumes se dissipant sur les eaux du lac, la bruine sur mon visage.
Verbania au petit matin avec au fond l'autre côté du Lac Majeur
Verbania est une petite ville pleine de charme : quelques palais, une église et des salons de thé dont les pâtisseries rappellent que la Suisse n'est pas loin.
A quelques kilomètres de là, Stresa affiche d'une manière ostentatoire sa vocation touristique avec ses hôtels Belle Epoque aux longues façades sur le lac. Surpeuplée l'été mais agréable le reste de l'année, la ville m'a séduit immédiatement avec son atmosphère délicatement surannée, ses aménagements discrets et raffinés, ses pelouses parsemées de jonquilles et constellées de pétales de magnolias ivoires.
Stresa se distingue par sa qualité de vie qui s'exprime dans une multitude de détails tels cette enseigne.
Tout autour des se profilent des villas derrière les portails, les haies de rhododendrons, de camélias ou d'érables du Japon. A Verbania la villa Taranto aux jardins plantés de plus de 20 000 plans de tulipes est ouverte au public. A Stresa, c'est la villa Pallavacino qui abrite un jardin zoologique.
Elevée en 1855, la "Filippina" fut acquise deux ans plus tard par le duc de Vallombrosa qui l'agrandit avant de la revendre à Ludovic Palavacino qui lui donna son aspect actuel. Ce ne sont que deux villas parmi les dizaines construites sur les rives du Lac. Certaines ont conservé leurs volumes simples, évoquant les proportions palladiennes des demeures construites sur la Brenta près de Venise. On devine encore en dépit des aménagements successifs les anciennes maisons de maîtres des XVIIe et XVIIIe s. Ce ne sont malheureusement pas les plus fréquentes. La majorité de ces anciennes demeures ont laissé la place à des villas d'un nouveau genre avec leurs bow windows, leur lock out (petite tourelles), leurs ornements plein de charmes hérités de l'art de nouveau. Une infirme minorité a été construite par les famille nobles locales. Ces dernières ont disparu, diluées par les tourmentes de l'histoire, guerres, révolutions, ruinées par l'arrivée du capitalisme, par les nouveaux barons de l'industrie.
Je regrette toujours devant ces vieilles demeures que les murs ne puissent pas parler ; je me demande ce qu'ils nous raconteraient. Amours, romances, intrigues, crimes. L'avantage de mon ignorance c'est qu'elle m'autorise toutes les rêveries.
Les Jardins d'amour d'Isola Bella
Isola Bella
En face de l'hôtel Regina se trouve l'embarcadère pour Isola Bella. Au XVIe s. elle s'appelait Isola Inferiore et abritait des maisons de pêcheurs, des petits jardins et deux églises. Les Borromée ne cessèrent d'y acheter des terrains à partir du siècle suivant. En 1630, l'ile prend le nom de "Isabella" en hommage à la femme de Carlo III de Borromée (1586-1652).
Isola Bella ressemble à un vaisseau dont les terrasses seraient les ponts superposés de la poupe et le palais, la passerelle à la proue. La façade du palais et son accès par la salle d'armes ornées de hallebardes m'a paru, au premier abord, plutôt austère. Cette impression s'est vite dissipée dans le grand escalier surmonté des armes des Borromée, des Medicis, des Farnese, des Barberini et des Savoie. Arrivé dans le salon, je suis resté figé devant la majesté de la pièce.
Le salon du palais des Borromée à Isola Bella.
Il s'agit de la pièce la plus vaste du palais, la plus récente aussi car elle ne fut achevée qu'en 1948-1958 sur la base des anciens dessins d'Andrea Biffi et de Vitaliano Borromée. On appréciera au sommet la devise des Borromée : "Humilitas".
Il s'agit d'un volume d'une hauteur de trois étages avec deux ordres superposés, le plan et les pilastres s'inspirant de San Lorenzo de Milan. Le décor quant à lui est basé sur un alternance de bleu-turquoise et de blanc, la blancheur des stucs apportant de la légèreté à l'ensemble.
A côté, la salle du trône, en fait une salle d'audience, paraît très confinée avec sa voûte surchargée de rinceaux soutenues par des télamons (personnages soutenant une voûte). Il faut ensuite emprunter un escalier pour arriver à l'un des endroits les plus étonnants de l'ile : les grottes. Une enfilade de six pièces aux murs recouverts de galets gris et de coquillages. Vitaliano Borromée a imaginé ce lieu en 1772 pour s'extraire des mondanités, retrouver un peu de quiétude et de fraîcheur.
Les grottes construites au niveau des eaux du lac fournissaient fraîcheur et intimité aux Borromée.
Cette Vénus endormie a été réalisée à partir d'un original de Canova
Et l'endroit est effectivement frais, humide même. On sent les eaux du lacs juste derrière les parois. Nous sommes dans la cale du navire, presque sous le niveau de l'eau. Les galets et les coquillages sensés évoquer l'élément aquatique, me rappellent que l'on s'est enfoncé dans les entrailles de la terre. Et ce ne sont pas les vestiges préhistoriques, les fossiles et les restes d'une galère vénitienne qui contredisent mon impression. Seule une merveilleuse Vénus endormie illumine ce monde chtonien. Réalisée d'après une oeuvre de Canova, elle séduit tous les visiteurs. La remontée à l'air libre se fait par un étroit escalier en colimaçon, restes d'une tour médiévale. Il me semble que nous longeons le mât de vigie pour déboucher à l'air libre sur le pont supérieur rempli de jardins de ce vaisseau.
Aperçu des jardins. Depuis le sommet à 37 m. de haut, on domine les jardins
et le Lac Majeur
Commencés par Carlo III de Borromée, ces derniers prennent leur forme actuelle entre 1637 et 1671. La terrasse du camphrier (du Cinnamon camphora planté en 1819) et le grand théâtre domine l'entrée des jardins. Il s'agit d'un immense édifice de tuf recouvert, comme les grottes, de galets avec à son sommet une licorne, le symbole des Borromée. On reconnaît aussi le lac majeur sous le trait d'un géant au centre, les fleuves Tessin et Toce sous la forme de figures féminines, Diane, les nymphes. A l'origine des jets d'eau animaient l'ensemble.
Ici l'eau est omniprésente, partout. Même les plantes sont adaptées au climat pluvieux. Ici poussent en majorité des camélias et des rhododendrons qui ont besoin d'une terre bien drainée mais surtout bien arrosée. Plus haut, à 37 m. en dessus du niveau du lac, depuis le pont supérieur de ce navire on accède aux terrasses de la poupe encadrées de tours octogonales. Commencent alors les "jardins d'amour" plantés d'orangers et de citronniers, eux aussi gourmands en eau. En tournant sur soi-même l'on découvre l'étendue du lac, l'Isola Madre et l'Ile des Pêcheurs. On oublie un peu le temps et l'on a envie de s'attarder.
De l'autre côté de la Rive, à Stresa protégé des regards des riverains par un rideau d'arbres, une ancienne demeure en ruine. La charpente a cédé sous le poids des ans, certains fenêtres sont murées, d'autres ouvertes aux quatre vents. Je me dis que la propriété des Margeli, si elle n'a pas disparu, doit être dans cet état. Finalement mon excursion à Isola Bella m'aura donné un aperçu du train de vie de la noblesse de cette région mais rien appris sur mes ancêtres. Faut-il s'en étonner ? Il me faudra encore patienter, persister pour trouver un élément nouveau, une trace. Est-ce le charme des lieux, la douceur de vivre, l'empreinte laissée ici par mes aïeux mais en montant dans le canot qui me ramène sur la terre ferme je me dis qu'il faudra que je revienne encore et encore sur ces rives jusqu'à ce qu'un déclic se produise. Le jour où j'écris ces lignes, j'en suis à mon cinquième séjour et le charme opère toujous comme en ce premier matin brumeux.
Terrasse sur le Lac Majeur face à Isola Madre, un cliché qui résume la quiétude et la beauté des lieux.