Nous savons avec certitude qu'il revient en 1821 à Plancoët aux côté de Servanne. En 1828, lorsque disparaît Servanne, Pierre est décédé.
Mais au mariage de Joseph en 1832, les témoins disent ignorer la dernière demeure des parents du marié et le lieu de leur sépulture. Aucun document à Plancouët et à Dinan n'attestent de leur décès.
Le comte Pierre est-il revenu chercher l'amour de sa vie pour finir ses jours avec elle, sont ils inhumés ensemble quelque part sur les terres d'Italie qui avait vue naître leur passion ? Sans user de leur titre, Joseph Margely et son fils Jean-Marie tiendront leur rang. Si le premier nous apparaît comme un marchand, Jean-Marie à son décès est désigné comme propriétaire, c'est à dire rentier, même sur son acte de mariage il affirme être marchand serrurier. Profession bien étrange pour une personne qui considérait le fait de devoir travailler comme une infamie. Sur les photos il apparaît de fait comme un bourgeois. Ces effets personnels confortent ce fait : couverts en argent massif ciselés à ses initiales, épingle de cravate en platine incrustée d'une fleur de diamants, montre en or massif. D'une discussion récente avec un descendant d'une autre branche, j'ai appris que Jean-Marie possédait un manoir à Bourseul au lieu-dit La Basse-Ville.
Jean-Marie Margely sera à l'origine d'un secret de famille qui scellera une chappe de plomb sur l'histoire de ses ancêtres. De son premier mariage, il a deux filles Pauline et Jeanne, les dernières à pouvoir porter le titre de comtesse. Sa femme décédera prématurément et il se remariera avec une jeune femme de plus de 25 ans sa cadette, Marie Thérèse Bouget. Il aura un fils de sa seconde épouse. Cette autre branche de la famille Margeli ouvrira une usine de biscuits bretons, les fameux craquelins.
Pauline, la première fille de Jean-Marie, décédera de la sclérose en plaque, maladie limitée à l'époque au Nord de l'Italie. Certains supposeront qu'elle l'avait attrapé en buvant du lait cru dans les plaines du Pô. Jeanne épousera un pharmacien, Ambroise Brard. Toute sa vie elle souffrira de ne mener la vie de ses aïeux et recherchera une origine noble à son mari. Elle parlait souvent de la famille d'Orange. Les citant par leurs prénoms. Les membres de la noblesse dinannaise étaient désireux de la connaître mais elle s'est toujours refusée de voir ces "noblaïons" de fraîche date.
A sa fille Jeanne Brard, à son fils et sa petite fille, ma mère, elle enseigna l'art de l'étiquette, celui de la bienséance, de la réserve qui sied aux personnes de son rang. La noblesse était sa richesse. Mais lorsqu'on la questionnait sur ses origines et l'histoire de ses ancêtres, ses yeux bleus foncés s'allumaient d'une lueur de colère et elle s'enfermait dans le silence.
Face aux questions insistantes d'un enfant de 12 ans devant une ancienne photo de Jean Marie Margely conservée dans un cadre d'acajou, Jeanne Brard, sa petite fille, finit par avouer avec un sourire ému devant un tel amour qu'il s'agissait de son grand père, un comte italien issu de la passion amoureuse entre un jeune noble très malade et sa gouvernante dévouée. Ce sera le début d'une longue enquête, faite d'espoirs, de déceptions, d'attente et de surprises, un puzzle composé d'un nombre inconnu de pièces représentant une fresque familiale inachevée marquée par la loi du silence.
Il faudra attendre 1996 pour qu'une étape décisive soit franchie. La rencontre entre deux descendants de ce fameux grand-père et la comparaison de nos versions respectives de son histoire. Tout se tient : la région d'origine, les fièvres, la gouvernante, la fuite en France. Tout se tient à l'exception des documents d'archives. Aussi loin que l'on remonte - 1782, tous sont nés en Bretagne. La famille Margelli figure sur le Stamminario italiano, le livre de la noblesse italienne.
Comme l'indique l'étymologie de son nom (les Marches : la frontière), elle est bien originaire de Lombardie ; il existe aussi une autre branche dans la région des Marches dont l'un des membres fut gentilhomme du Cardinal Saint-Charles de Borromées.
A Vercelli, de nombreuses familles portent des noms commençant par MAR : Marchetti, Margetti. La lecture de l'annuaire, pleine d'espoir, s'est révélée vaine. De l'autre côté de la frontière, en Suisse, un lieu-dit s'appelle Margeli, peut-être le berceau de la famille. Nous avons l'origine et les derniers descendants. Que s'est-il passé entre-temps ? Entre alliances et les guerres, la famille s'est dispersée, dissipée, évaporée. plus de traces.
Vivant au centre de la Bretagne des années 20, sa fille, utilisait souvent des mots italiens, donnait un nom italien à sa chienne (Rana, grenouille), multipliait les références au lac Majeur et aux îles Borromées. Elle allait souvent en Italie, en Lombardie, et ramenait des clichés pris sur les bords du lac mais aussi de lieux moins touristiques comme des fermes au milieu des rizières. Sa soeur était brune aux yeux noirs et au teint mat. Etonnant ! Les souvenirs familiaux et les archives se télescopent comme si la mémoire des deux familles avait contracté le temps attribuant les faits d'un aïeul méconnu de 1782 (Pierre) à ceux de leur grand père ; comme si tous les souvenirs se concentraient sur un unique portrait.
Faut-il en conclure que les liens aujourd'hui cassés avec la branche italienne ont perduré jusqu'à la seconde guerre mondiale, que Jean-Marie et ses ancêtres ont été élevés ou faisaient de fréquents séjours en Italie dans leur famille d'origine.
Peut-être existe-t-il encore quelque part au milieu des rizières ou sur les rives du Lac Majeur, quelques vieux murs décorés d'un blason avec deux hérissons, une ancienne grille avec un "M" en fer forgé, recouverts par les ronces et les broussailles.
Leur découverte serait le plus beau des héritages.