Syracuse - Ortygie
“Syracuse”, depuis mon enfance, la prononciation de ce nom à la consonance mélodieuse m’évoquait les douceurs de l’Orient mystérieux, un reliquat de la chanson d’Henri Salvador sans doute, et les guerres puniques. Je repassais dans ma tête les images de vieux péplums où la flotte romaine était embrasée par des miroirs géants inventés par Archimède. J’allais voir ces lieux mythiques, je revivais la mort d’Archimède La rencontre d’un pillard romain et du savant assis occupé à finir une démonstration de géométrie. La dernière volonté du savant priant son assassin d’attendre la fin de son calcul afin de ne pas mourir avec un problème non résolu dans la tête.
L’accès à la vieille d’Ortygie depuis la station des bus n’est pas direct, il faut marcher et longer d’interminables avenues bordées d’immeubles modernes en béton. Depuis 1962, date de l’écriture de la chanson d’Henri Salvador, la ville aurait-elle autant changé ? Finalement, après plus de deux kilomètres de marche dans des rues poussiéreuses du côté de la via Bengasi, la Syracuse mythique m’est apparue de l’autre côté du Ponte Nuovo.
Marchand de poissons à Syracuse.
A cette heure ci du matin, la piazza Cantali à l’entrée d’Ortygie, la ville ancienne, avec ses vendeurs de journaux, ses petits vieux qui se chauffent au soleil de printemps est accueillante et le marché contigu très animé et coloré. Syracuse est une île et cela se voit. La majorité des commerçants sont des poissonniers. Syracuse a toujours été ouverte sur la mer. Et cela continue. Syracuse est un vaisseau de pierre. Les poissons sont frais, colorés. Les marchands crient la qualité de leur marchandise ; les prix défient toute concurrence. 0,65 cts le kilo d’oranges !
Vendeur d'oursins. Toutre l'Italie est là: le Vespa, l'avis d'obsèque au mur, les cafés sur la table.
A quelques mètres s’élèvent les ruines du temple d’Apollon, premier temple dorique de Sicile bâti au VIe siècle avant Jésus-Christ. Même s’il n’en reste que quelques colonnes et pans de murs, la surface couverte et leur diamètre sont impressionnants. En y observant un chat jouer à cache-cache avec des lézards, cet univers minéral parsemé de bosquets de palmiers me fait penser à l’Afrique, à Carthage peut-être.
Derrière commence le labyrinthe des ruelles… J’en choisis une au hasard, la plus proche de la colonnade. D’un seul coup, on change d’univers. Lors de mon premier séjour au milieu de l’hiver, la ville était déserte. En mai, la ville est plus riante. Des touristes déambulent un peu partout mais il n’y en a pas trop. La via Giacomo Matteotti mène directement au dôme. Elle fut percée sous Mussolini à travers la ville médiévale ; seule une maison du XIIIe siècle, aujourd’hui un musée, a été épargnée. Au coin d’une rue s’élève l’élégante fontaine d’Artémise.
Le dôme
Intérieur du dôme de Syracuse. L'ensemble de la nef et des bas côtés s'appuient sur les colonnes doriques
de l'ancien temple grec d'Athéna ce qui accroît sa monumentalité et lui apporte un carctère dépouillé qui
contraste avec la façade et les décors baroques des chapelles latérales.
Après l’espace confiné des ruelles, la Piazza Duomo semble immense et harmonieuse avec sa forme en demi cercle bordée de palais. Elle est à l’échelle de la cathédrale baroque qui la domine. Le terme de baroque ne s’applique qu’à la façade. Et encore. L’édifice a été construit sur le temple d’Athéna. A l’intérieur de la nef est scandé de monumentales colonnes doriques du Ve siècle avant J.-C. La présence antique est si prégnante que je finis par par y voir davantge un temple qu’une église en dépit de chapelles latérales au riche mobilier. Sur le bas-côté extérieur des créneaux typiques des constructions musulmanes surmontent les chapiteaux grecs ; vestiges de l’ère musulmane.
La fontaine d'Aréthuse et ses papyrus
A quelques pas de là une autre fontaine : la Fontaine d’Aréthuse. Il s’agit d’une fontaine d’eau douce qui se jette dans la mer Tous les touristes s’y donnent rendez-vous. Selon la légende, Aréthuse, jeune nymphe de Diane, se métamorphosa en source pour échapper aux avances d’Alphée, le fils de Zeus. Emu par sa douleur, Zeus changea Alphée en fleuve pour qu’il puisse couler librement vers sa bien-aimée.
L’endroit bordée par la mer ionienne est agréable mais loin d’être aussi spectaculaire que les brochures touristiques le laissait supposer. Finalement, on y vient pour la vue sur le large, la curiosité géologique et les papyrus. Syracuse étant la limite nord de culture de cette plante. Je m’imagine que c’est à cet endroit qu’Archimède devait avoir placé des miroirs. En contrebas, un petit jardin fait face à la mer. Il est planté de ficus de plus de dix mètres de haut ; leurs racines aériennes forment de véritables de tresses. Si j’en juge par ceux de Bordighera qui ont le même aspect, ces arbres ont au moins 700 ans.
Fontaine d'Aréthuse avec les papyrus.
Les cafés du front de mer sont vides et les serveurs d’abordent avec empressement le touriste qui s’approchent à moins de deux mètres de leurs tables ce qui ne laissent rien de présager de bon sur la fraîcheur des plats. Piazza Duomo même scénario avec la chaleur en plus. Lors de ma première visite, guidé par un chat famélique et souffreteux, comme beaucoup de chats en Italie, je m’étais arrêté à la terrasse d’un petit restaurant. L’endroit ressemblait à une oasis avec ses palmiers, tous les chats du quartier s’y prélassaient. J’en avais compté au moins une quinzaine. Ils se regroupaient sur le pas de la porte et poussaient de véritables hurlements quand une tranche de jambon se profilait à l’horizon au grand amusement des clients. Aujourd’hui, la majorité des palmiers ont disparu ; victimes du charençon rouge des palmiers (Rhynchophorus ferrugineus) qui paraît faire des ravages en Sicile. Les chats aussi ont disparu. Le restaurant est mieux tenu, la cuisine plus soignée, le service également. Mais le charme n’y est plus. Je dégusterai une cassate à la ricotta près du dôme.
Les palais
Les ruelles d’Ortygie sont bordées près de la mer d’anciennes maisons de pêcheurs recouvertes d’un enduit rouge ou rose du plus bel effet sous le soleil mais surtout de palais. Certains sont en piteux état. Les balustrades en fer forgé des balcons descellées par le temps et les embruns se balancent au-dessus de ma tête. D’autres ont conservés une partie de leur lustre d’autrefois. Je suppose aussi qu’au siècle des Lumière, les ruelles devaient regorger de poissons et d’épices que les nobles ou les armateurs considéraient depuis ces balcons aux ferronneries aussi galbées que les robes des femmes de cette époque. Tout ici, l’indolence de la ville, sa pierre lumineuse, évoque la chaleur, la lumière, le mode de vie méditerranéen.
A bien y regarder, sous des abords austères, les palais ne manquent pas de grandeur ni de charme. Des portes cochères majestueuses s’ouvrent sur des cortiles dont un des côté est bordé d’une galerie aux voûtes élégantes, dans un style baroque plein de retenue. L’un d’eux à la façade couverte de masques a été bâti pour Napoléon Ier.
Syracuse est aujourd’hui une cité mélancolique, onirique, à la luminosité éthérée, intemporelle, flottant au-dessus des flots de la mer ionienne comme un vaisseau fantôme, où chacun y projette ses fantasmes d’antiquité, de vie voluptueuse ou de Dolce vità.
Place du dôme et ci-dessous détail d'une corniche.