Dolceacqua
La première fois que je suis arrivé à Dolceacqua, je fus impressionné par la silhouette de son château fort. Un château comme dans les contes ou les livres d’histoire, immense au sommet d’un rocher avec deux grosses tours et des maisonnettes à ses pieds. Située au centre de la vallée de la Nervia, cette forteresse contrôlaient dès le XIIe siècle (1177) toute la circulation de la vallée.
Il fut édifié par les comtes de Vintimille et agrandi au cours des siècles. Agrandi mais aussi mis à rude épreuve. En 1186 il est presque détruit, réaménagé au XIVe siècle, il devient une résidence fortifiée à la Renaissance sous les Doria. Malheureusement en 1744, l’artillerie des Français et des Espagnols l’endommagea gravement.
Les Doria ne l’occupaient déjà plus à cette époque. Ils l’ont délaissé au bénéfice de leur palais près de l’église dès le XVIe siècle. Les Doria ! Je les connaissais de nom avant de découvrir Dolceacqua. Andrea Doria avait commandé la flotte de Gènes avant de s’en remettre à la Savoie. Un paquebot porta aussi son nom.
Loyaux envers leurs alliés, ils étaient liés au parti Gibelins de l’empereur dans la guerre qui opposait les Guelfes du pape. Ils étaient aussi cruels envers leurs ennemis et et détestaient les Grimaldi de Monaco. Les Doria n’hésitaient pas à détruire des récoltes, prendre des otages et à profaner des églises. La famille s'est éteiente en 1902. Ils reposent dans l'église San Giorgio à l'entrée du village.
Le pont et le Château des Doria à Dolceacqua.
Le dimanche matin, Dolceacqua
constitue une destination pour les Azuréens tout proches et une halte pour les amateurs de cyclisme.
Sur une gravure du XVIIe siècle le château apparait en effet à la fois comme une forteresse et une résidence avec ses terrasses plantées d’arbustes. A l’emplacement des parkings actuels figurent des jardins à la française avec des parterres bien ordonnés. Le Pont est déjà là mais l’oratoire San Filippo Neri, plus tardif, n'existe pas encore. De même pour l’église San Sebstiano dans le borgo.
Au pied du château, le quartier de Terra est plus aéré qu’aujourd’hui. Les maisons sont moins hautes, moins entassées. Aujourd’hui, elles peuvent atteindre jusqu’à six étages. C’est le quartier principal de Dolceacqua, le plus touristique aussi.
En seize ans, j’ai vu Dolceacqua s’ouvrir peu à peu au tourisme, des galeries, des restaurants apparaître. Mais modérément. Même si au plus fort de la saison estivale il est difficile de se stationner, il n’y a jamais foule à Dolceacqua.
Une fois traversé le pont qui émerveilla Claude Monet, – “L’endroit est superbe, il y a un pont qui est un bijou de légèreté” écrit-il en février 1884 – on pénètre dans les ruelles, on s’enfonce serait le terme plus adéquat. En un instant, le village se referme sur vous. Et le charme commence à opérer. Le visiteur est accueilli par une fontaine sur la placette. A droite les “scarssase”, une enfilade de ruelles voûtées qui longent la rivière. A l’origine, elles permettaient aux habitants de circuler à l’abri des regards et des projectiles. Aujourd’hui des projecteurs dorés leurs donnent une atmosphère chaleureuse et mystérieuse, loin de leur fonction militaire primitive.
Ruelles de Dolceacqua: à gauche
les scarssase, les ruelles couvertes.
Ici, pour moi commence l’histoire ou les histoires, les légendes et les contes. Je m’imagine des hommes en armes, des historiettes médiévales, des bruits d’épées des cris de femmes en costumes.
A Dolceacqua, les Doria s’étaient adjugé un droit de préséance sur chaque jeune fille qui se mariait, “le droit à la première nuit” (Jus primea noctis). La nuit de noce leur revenait de droit jusqu’à ce jour du XIVe siècle où Basso épousait Lucrezia (Lucrèce semble être prénom destiné à attirer ce genre de problème aux femmes, son homonyme romaine eut aussi des soucis avec un chef militaire avec la même fin tragique…). Imperiale Doria ordonna à ses soldats de s’emparer de Lucrezia. Mais cette dernière refusa de se donner à lui. Fou de rage, le comte Doria la fit mourir de faim et de soif dans l’une de ses géoles.
Sa mort de fut pas sans conséquence pour les habitants de Dolceacqua (comme celle de Lucrèce pour les Romains : ce fut la chute de la royauté et le début de la République après que le peuple se soit soulevé).
La population de Dolceacqua se souleva contre cette tradition et Imperiale Doria du céder. Pour célébrer cette victoire, les femmes de Dolceacqua inventèrent une petite brioche en forme de sexe féminin. De nos jours dans la nuit de 16 août les hommes de Dolceacqua vont demander à leur bien aimée la michette.
La via Castello mène au château, les passages voûtés se succèdent et se referment derrière moi. Bientôt elles se recoupent et s’entremêlent. Par moment on domine, une autre rue en contrebas de deux ou trois étages. Des arcs-boutants se suivent au-dessus de ma tête. Ils assurent la stabilité des maisons et limitent les dégâts en cas de tremblement de terre. Celui de 1887 détruisit des maisons à Menton et ravagea totalement le village de Bussana Vecchia près de San Remo et finit d'endommager le château de Dolceacqua.
Choeur de l'église San Antonio Abate le jour de Noël.
A chacune de mes visites, je consacre un moment à l’église San Antonio Abate. Commencée en 1471, elle s’appuie sur une tour de l’ancienne enceinte. Elle fut agrandie au XIXe siècle. L’ensemble date principalement du XVIIe siècle.
S. Antonio est toujours joliment décorée de fleurs fraîches. A Noël le rouge des poinsettias rivalisent avec celui des damas (de Gènes probablement) accrochés le long du chœur. A l’extérieur, on allume le feu de Noël. Il restera jusqu’à l’Epiphanie. Les riverains, les touristes, les passants se regroupent autour pour prendre l’apéritif ou se réchauffer.
Dans les ruelles, les crèches apparaissent peuplées de santons, de mannequins selon la fantaisie et les moyens des habitants.
Dans les cafés, on déguste le Rossesse de Dolceacqua. En Ligurie, ce vin est réputé. Il existait déjà à l’époque des Doria qui, paraît-il, en faisaient une forte consommation. Il doit son nom à sa robe rouge rubis même si à l’origine il était élaboré à partir de raisin blanc. Ce n’est qu’en 1839 que l’on découvrit des cépages rouges à Vintimille et près de San Remo. C’est un vin légèrement épicé avec des arômes de Pinot noir.
Les vignes poussent sur les collines voisines. Ici, la terre est fertile. Les tomates sont excellentes et les olives, la taggiasca, est fine et goûteuse. Les hivers sont cléments, la lumière dorée. Claude Monet dans une lettre à Rodin écrivit : “Il faudrait peindre ici avec de l’or et des pierreries. C’est admirable”.
Dolceacqua