Herculanum
En arrivant à Herculanum, je m'attendais à trouver une petite ville, moins chic que Sorrente mais accueillante et bien tenue. C'était le cas, il y a près de 2000 ans avant l'éruption du Vésuve. A côté de Pompéi la commerçante, c'était à Herculanum que les riches Romains venaient se détendre. C'est sur son territoire que se trouvait la villa de Luculus, l'une des plus belles de l'antiquité où une bibliothèque de parchemins a été découverte.
L'Herculanum d'aujourd'hui m'a semblé laborieuse et défraîchie, à l'image des enduits en ciment qui recouvrent la majorité des maisons. Pas de restaurant moderne, pas de boutique touristique. A midi, je devrai tourner et retourner pour trouver une petite pizzeria, deux tables dans un jardinet, un service à la bonne franquette mais un accueil chaleureux, des pizzas succulentes et finalement un excellent souvenir.
Une fois franchie le portail d'entrée, il faut parcourir une allée qui surplombe l'antique cité pour arriver à la billetterie. On distingue les quartiers, les rues et les habitations cernées de toutes part par les immeubles modernes d'un côté et la mer de l'autre. Pourtant, la première vision quand on pénètre dans cette ville morte, c'est un verger. Pêchers et citronniers croissent bien alignés au milieu des ruines, à l'emplacement du portique d'une ancienne auberge.
Après Pompéi, l'on est forcément un peu déçu : pas de vastes ensembles de peintures monumentales, pas de Villa des Mystères bien visibles. La villa des papyrus n'est qu'en partie dégagée et pas accessible au public. Pourtant, le charme opère. Contrairement à Pompéi, toutes les maisons ou presque sont ouvertes et c'est à coeur joie que je mets un point d'honneur à pénétrer dans chacune d'elles, passant de ruines en ruines. En 2014, pour des raisons de conservations plusieurs d'entre-elles restent interdites au public.
Maison dite "à cloison de bois", atrium et détail de la cloison avec son cabochon en bronze
Puis c'est la première révélation. Ici dans la Cardo IV inferiore, une simple maison de location a résisté aux flammes, c'est la maison dite "A Graticcio". Le rez-de-chaussée est sombre mais à l'étage le balcon en bois subsiste. D'après mon mini-guide, il a été réalisé en opus craticium , un treillage de bois rempli de pierres. Cette technique était évitée à Pompéi par crainte des incendies. Quelle ironie, ici c'est ce matériau qui a résisté à la fournaise. Dans la maison voisine, la Maison dite " à la cloison de bois", ce sont les cloisons en bois qui nous sont parvenues ; les cabochons de cuivres ou de bronzes y sont encore fixés. Cette cloison était destinée à masquer l'atrium et le reste de la maison aux visiteurs. La hauteur limitée permettait à l'air de circuler. Plus loin les marches d'un escalier ont survécu à l'éruption, puis dans la boutique de la maison de Neptune et d'Amphitrite, ce sont les étagères à amphores et une partie de l'étage. Approcher des matériaux périssables de 2000 ans, pouvoir les observer de près, c'est un peu de la vie quotidienne, de la vie intime qui se dévoile. C'est aussi dans cette maison, aux dimensions relativement modestes (moins de 10 pièces) qu'une superbe mosaïque représentant neptune et Amphitrite a été retrouvé dans le tricilinium.
Fresque du IIIe style.
La vie privée des habitants apparaît aussi au fil des couloirs de la Maison des Cerfs fermée en 2014: peintures du IVe style et petites fresques représentant des natures mortes ponctuent les pièces. Le jardin à l'époque donnait sur la Méditerranée. En face, la Maison du relief de Telèphe. 1800 m² . On y a retrouvé une collection de sculptures ainsi que des pendentifs en marbre dans un péristyle aux colonnes rouges de toute beauté. L'une d'elles représentait Téléphe, le fils d'Hercule. Dans la pièce derrière, le sol, les murs sont en marbre, seules traces existantes du luxe de cette demeure. Plus loin, les peintures du Siège des Augustaux (des esclaves affranchis et insérés dans la société) trônent au milieu d'un mur presque nu. La volonté d'afficher sa réussite après l'esclavage est éloquente en dépit des destructions. On voit clairement l'emplacement des poutres carbonisées.
Herculanum, la maison du relief de Télèphe était l'un des plus luxueuses de la ville
Le relief représente Achille appuyé sur sa sa lance à gauche et soignant son enemmi, Télèphe à droite de la blessure qu'il lui a infligé.
Comme de nombreux touristes, je pénètre dans ces lieux avec comme idée fixe de réussir ma photo. Mais nous empiétions dans des espaces jadis sacrés, des autels, des bassins sans nous poser la question - ou trop tard - si l'on respecte les souhaits, les coutumes de leurs anciens habitants. On évoque souvent le devoir de mémoire au sujet des épaves maritimes, et ici ? On jette un oeil distrait à l'affût d'une "jolie peinture" mais sans vraiment se demander ce qui s'est passé à cet endroit. Et on passe rapidement à une autre pièce dans l'attente du "Chef d'oeuvre". J'essaye de m'imaginer l'ameublement et l'éclairage, surtout dans les petites pièces que le soleil n'atteint pas. Que pouvait-on faire dans de si petites chambres, seulement y dormir ? Malgré leur dimensions et leurs obscurité les murs et les plafonds sont décorés de grotesques. Le soir, à la lueur des lampes à huile on ne devait apercevoir le décor que par fragments. Sur les murs j'essaye déséspérément de trouver une empreinte, une trace de vie, un lien avec les anciens habitants.
Puis après les thermes, les boulangeries et autres commerces déjà vus à Pompéi (mais pas de lupanar à Herculaneum), j'arrive à la palestre. Un groupe sort d'une sorte de caverne, c'est la piscine. Deuxième révélation. Il faut emprunter un couloir sombre pour y accéder, la température descend d'un seul coup et l'éclairage est faible. Là, au milieu de la salle, une mosaïque avec une sculpture. Je m'imagine les habitants prenant le frais dans l'eau et c'est le choc. Cette voûte de pierre, les concrétions qui m'abritent de la chaleur solaire n'existaient pas. Il s'agissait d'une piscine en plein air. Je suis sous plusieurs mètres de lave ! Il n'y a pas un millimètre cube qui n'ait été enseveli. Cette galerie, ce sont les archéologues qui l'on creusée.
A gauche : la Maison au salon noir appelée ainsi en raison de la couleur des fresques
A droite : la piscine, les archéologues ont dégagé la mosaïque d'un bassin,
des galeries creusées dans la lave s'enfoncent plus profondément
dans la ville ensevelie
En quelques instants le destin de la ville se déroule dans ma tête. L'allée que j'ai parcouru à l'entrée n'est que la surface supérieure de la lave ou plus exactement de la coulée de boue qui ensevellit la lune ; en dessous se trouve des quartiers encore inconnus d'Herculanum. En sortant, je m'aperçois qu'au-delà du Decumanus Massimo, la cité antique continue sous la ville moderne : cette succession de portes dans ce mur de lave d'au moins dix mètres de haut, ce sont les accès au théâtre antique !
Puis l'horreur va en s'accentuant. Au fil d'une salle, un amas de squelettes scellés dans de la boue. Il y en a une dizaine. Rappel brutal du destin d'Herculanum. Je connaissais bien sûr sa fin tragique, mais à l'inverse de Pompéi où des corps figés rappellent régulièrement aux touristes qu'ils visitent une cité martyre, ici le drame est moins évident, plus dissimulé.
C'est sur les lieux mêmes que l'on prend la mesure de la tragédie qui s'est déroulée ici. Le scénario se précise à proximité de l'aire sacrée à proximité de l'ancien rivages ; les quelques centaines de mètres qui nous en séparent aujourd'hui sont dus à l'éruption. C'est ici sur l'ancienne plage, sous ses arcades, que la population venue s'abriter pour la nuit a été surprise en plein sommeil.
Et c'est mu par un sentiment mêlé de satisfaction d'avoir foulé les rues et les trottoirs d'Herculaneum et de réflexion sur la conciliation du tourisme, de la recherche archéologique et le devoir de mémoire et le respect vis-à-vis de ces populations disparue que j'attends mon train pour Oplontis où la Villa de Poppée est ouverte au public.
Siège des Augustaux d'herculanum.
C'est ici que les affranchis se réunissaient. Leur siège était dédié au culte de l'empereur Auguste.
A gauche, l'entrée d'Hercule dans l'Olympe accompagné de Minerve, Junon et Jupiter (sous la forme d'un arc en ciel)
et à droite , lutte d'Hercule contre Achéloos.