Stabie : villas San Marco & Ariana
La villa San Marco
Depuis plusieurs années le nom d'une cité me trottait dans la tête : Stabie. Ses villas étaient réputées dans l'antiquité. Puis à la faveur d'une visite à Pompéi, une petite ligne au revers d'un plan attira mon attention : "Villa San Marco et villa Ariana de Stabie, arrêt de train à Via Nocera, puis bus 1 rouge. C'était écrit, le lendemain je serai à Stabie.
Arrivé à Via Nocera par le train (Circumvesuviana), l'affaire se révéla un peu plus compliquée. Le privilège de visiter les demeures de la haute noblesse romaine se mérite. Aucune indication ne figure nulle part et le bus n'est guère fréquent (un par heure). Mais les habitants sont accueillants et le chauffeur ravi de voir des étrangers s'intéresser à l'archéologie. Dépose à la demande au plus près de la villa San Marco dont le nom provient d'un petit torrent non loin de là.
Stabie représentation d'une villa romaine. Celle-ci possède des portiques et une cale pour les bateaux.
Au fond, on aperçoit d'autres édifices. Peut-être des temples.
A l'exception d'un petit panneau et d'un hangar, le visiteur arrive dans la cour d'une maisonnette dont on se demande si les habitants ne vont pas nuitamment prélever des pierres dans les ruines voisines pour agrandir leur habitation.
Au premier abord, j'ai été un peu déçu. Tant d'efforts pour un portique à moitié détruit. Puis j'ai pris conscience de l'ampleur de la maison. Longeant la falaise qui domine aujourd'hui la ville, la villa faisait face à la mer et au Vésuve. Elle comptait plus de trente pièces dont la majeure partie, plus ancienne du début Ier siècle après J.C., se situait au nord de la piscine tandis que les pièces attenantes au nymphée sontplus tardives d'environ 80 ans. Certaines d'entre-elles n'étaient occupées qu'une partie de l'année selon leur orientation : les plus ensoleillées l'hiver, les plus ombragées l'été.
A droite : une jeune femme vêtue d'un peplos serré à la taille par un cordon doré. Elle porte un plateau
avec le nécessaire pour un sacrifice. A gauche, cette jeune joueuse de lyre impudique
illustre une des nouvelles tendances du IVe style tardif de la peinture pompéienne, inconnu à Pompéi pPerchée sur le haut du mur.
Ce matin là nous n'étions que cinq dans l'immense demeure, quatre touristes et un gardien. Il ne connaît pas l'histoire de la maison ni l'identité de ses propriétaires. D'ailleurs la connaît-on. Nous savons que Pline l'Ancien, Cicéron séjournaient dans les environs, peut-être même ici. Qui sait ? A Oplontis, l'impératrice Poppée, la femme de Néron, avait une résidence d'été.
Une plaque indique heureusement la fonction de chacune des pièces : cuisine, caldarium, atrium.. Heureusement car il bien difficile d'en retrouver la destination en se fiant seulement à ses connaissances. Par endroits, les fresques ont été découpées au XVIIIe siècle pour prélever les plus belles peintures en laissant la maçonnerie à nue . Dans les parties découvertes plus tard les fresques subsistent. Et quelles fresques ! A l'image des occupants.
Certains murs sont parcourus de petits tableaux représentant des villas. La vogue des thèmes paysagistes remonte au Ier siècle ap. J.C. si l'on en croît Pline l'Ancien qui écrit dans son Histoire naturelle : Studius "fut le premier à imaginer une façon tout à fait charmante de peindre les parois, y figurant des maisons de campagne et des ports ainsi que des thèmes paysagistes, bosquets, collines, étangs poissonneux"...
De fait, ici c'est une villa un peu fantaisiste composée de deux étages de portiques courbes surmontés d'un petit pavillon ; là, une autre avec un corps de bâtiment flanqué d'un portique en U comme la villa San Marco.
Mais la vraie découverte reste à venir. Dans une antichambre près de la piscine, les murs jaunes sont parcourus d'une demi douzaine de portraits féminins. Ces femmes sont vêtues d'un peplos vert amande (tunique) avec une ceinture dorée à la taille et couronnées d'un rameau de myrte. Elles tiennent un plateau couvert de feuillages, sans doute pour un sacrifice quelconque.
Dans la pièce voisine, voici Persée victorieux qui brandit la tête de Méduse qu'il vient de tuer. Il tient encore son poignard dans la main. Placé à cet endroit, face au visiteur, il protège la demeure contre le mauvais oeil.
Au-dessus de lui, une jeune femme à demi dévêtue joue de la lyre en regardant le spectateur. Non loin de là c'est un petit ange qui tient une patère. Ce n'est pas leur présence ici qui est inédite, c'est leur position en équilibre au sommet des panneaux décoratifs. Cette disposition n'existe pas à Pompéi ni à Herculanum. Et les archéologues se demandent nous n'assistons pas là à l'émergence d'un nouveau style qui nous est inconnu. (la peinture romaine est définie d'après quatre styles avec des périodes de transition ; le quatrième datant de 79 av. J.C., la date de l'éruption du Vésuve.)
Nymphée de la villa San Marco de Stabie. Le visiteur a le privilège rare de pouvoir admirer ces bas reliefs en stuc
d'un nymphée d'une grande villa romaine privée. D'après A. Barbet (voir bibliographie), il s'agissait d'Athlètes
évoquant une palestre grecques idéale.
La sortie se fait en longeant la piscine. A l'une de ses extrémités se trouvait le triclinum (la salle à manger) et à l'autre un nymphée (fontaine monumentale dédiée aux nymphes). Là encore les bas reliefs sont inédits. Ce sont des athlètes posant sous des petits temples ; peut-être l'évocation du monde idéal de la palestre grecque telle que se l'imaginait les Romains.
Villa Ariana de Stabie : deux des plus célèbres fresques romaines. Il est paradoxal que ces fresques parmi les plus connues
du monde romain soient originaires de villas parmi les moins visitées. A gauche: Diane, à droite Proserpine.
(Dans certains ouvrages cette figure est attribuée à Flore, nous préférons l'interprétation de A. Barbet - les originaux sont à Naples).
La villa Ariana
Non loin de là, subsiste une autre villa qui, elle aussi surplombait la Méditerranée. Non loin de là est un euphémisme lorsque l'on sait qu'il n'existe pas de bus entre les deux villas séparés de trois kilomètres. Son nom provient d'une peinture représentant Dionysos séduisant Ariane.
Villa Ariana de Stabie : triclinium d'été. Au fond, la fresque représente
la rencontre d'Ariane et de Dionysos.
Là encore on n'est pas dérangé par les touristes. Comme à la villa San Marco, il faut signer une liste de présence. L'Etat italien se basant sur le nombre de visiteurs pour poursuivre les travaux de restauration. La découverte est d'abord champêtre car il faut traverser un petits champs d'herbes folles et de coquelicots. Puis l'on arrive par les pièces qui dominaient la mer.
Dans une pièce deux médaillons, deux portaits ont traversé les siècles.
La villa, bien que fastueuse, m'a paru moins bien préservée que la précédente. Dans les chambres pourtant les motifs de grotesques sont bien conservés. Dans une autre pièce, deux portraits en médaillon me surprennent par l'intensité de leur regard avec deux mille ans d'intervalles. Et puis, après les communs, immenses, vient l'atrium monumental (il n'y a pas d'autre mot) : 100 m² au moins. C'est ici que l'on a retrouvé deux des peintures les plus célèbres de l'antiquité : Diane chasseresse qui s'apprête à tuer les enfants de Niobe et Proserpine cueillant des fleurs avant d'être enlevée par Pluton le dieu des Enfers. Les originaux sont à Naples en lieu sur, mais des reproductions sont en place.
Après Pompéi, Herculanum, Cumes, Oplontis et bien d'autres endroits, ces villas viennent compléter mon puzzle intérieur fait de visites, de lectures, d'observation de reconstitutions. Peu à peu, la Rome et ses habitants revivent en moi, à la fois réels, imaginaires et rêvés.
Aujourd'hui, pour accéder à la villa Ariana de Stabie, il faut traverser un champs d'herbes folles qui voisine avec
une plantation de citronniers. Quelques bancs ombragés par des oliviers s'offrent au visiteur avant qu'il ne
reprenne sa marche vers la ville nouvelle. Graminées, trèfles, coquelicots poussent désormais sur la florissante
ville de Stabie, élue de la haute société romaine