Pompéi
Pour aller à Pompéi, j'ai du prendre le train depuis la gare de Naples. Lors de mon premier séjour, jamais je n'avais vu un escalator bloqué par la crasse et les détritus, comme si le personnel avait démissionné, découragé par l'ampleur de la tâche et les centimètres de poussière et de mégots accumulés dans les rainures. En 2011, la gare a été entiérement rénovée. C'est propre, spacieux et une galerie marchande accompagne le voyageur jusqu'aux quais de la ligne circuvesuvianna. En face de moi une Napolitaine. Altière, le visage ovale, elle a noué ses cheveux noirs de jais derrière la nuque laissant seulement pendre quelques mèches bouclées le long de ses joues. Elle me fait penser à une de ces femmes antiques que l'on voit dans les reconstitutions. La tunique lui y irait bien.
Après une heure de trajet, le train s'arrête en gare de Pompéi. En cette heure matinale les alouettes m'accueillent de leurs chants mélodieux, l'air est léger et doux. Trouver l'entrée du site n'est pas difficile, nul besoin de panneaux, il suffit de suivre les boutiques de souvenirs dont la densité va croissante au fur et à mesure que l'on approche. Des guides plus ou moins officiels abordent les visiteurs pour une visite personnalisée. La première fois, j'avais regretté de ne pas en avoir pris un, mais finalement après ma seconde visite, en les écoutant, je m'aperçois qu'après avoir lu quelques ouvrages de référence on peut se débrouiller tout seul très avantageusement.
J'y suis enfin ! C'est avec beaucoup d'émotion que je traverse la Porta Marina , une porte fortifiée dont les dalles conservent encore les traces des charrettes antiques. Pompéi dont j'ai tant entendu parler, sur laquelle j'ai lu tant de choses, vu tant de clichés, regardé tant de reportages est là devant moi. Avec un défi : pourrais-je en voir assez, en comprendre suffisamment au cours de cette journée dont le temps est compté par les horaires de train ?
Le forum de Pompéi. La porte de Mercure A droite, l'entrée du marché. Derrière la galerie dont il ne reste plus que trois colonnes, les bâtiments surmontés d'une voûte abritaient
des taberna argentariae, autrement dit des bureaux de change.
Très vite j'arrive sur le forum, un peu désorienté par ses dimensions mais aussi par le vide cet espace. La basilique est impressionnante ou devait être impressionnante car il ne reste plus que des fûts de colonnes. Dans les ruelles, adjacentes, vicolo delle Terme, via delle Terme, vicolo della Fullonica, la découverte commence vraiment avec la vaine illusion de percer encore un secret. Illusion entretenue par la présence d'archéologues qui prélèvent la poussière dans les rues. Y-aurait-il encore dans cette poussière grise quelques cendres de l'éruption de 79 après J.-C. ?
Les premières maisons s'ouvrent à moi. Par chance Pompéi est presque déserte et personne ne vient déranger mes rêveries historiques. La demeure est modeste : pas d'atrium, une pièce principale, des chambres et un jardinet aux murs ornés d'architectures et de putti. Plus loin, la grille de la maison du Chirurgien est restée entrouverte. Je me faufile et traverse l'ancienne boutique rapidement afin d'échapper aux regards des passants. C'est une grande demeure avec impluvium, triclinium et atrium. mais je reste sur ma faim car les pièces sont obscures et les murs ont perdu leurs fresques.
Maison du Poète Tragique.
Cette maison doit son nom à une mosaïque
représentant un maître de théâtre.
A Pompéi, plusieurs demeures possèdent des fresques extraordinaires. La maison des Amants Chastes, la Maisons des Vettii notamment. Malheureusement celles-ci sont fermées régulièrement au public pour des raisons de conservation. Cette situation débouche parfois sur des scènes cocasses de gendarmes et de voleurs quand un carabinier poursuit dans le dédale des rues un jeune homme qui a enjambé une barrière.
J'accompagne un groupe d'Allemands dans la maison du Poète Tragique qui doit son nom à une mosaïque représentant un scène de théâtre. Avec eux je pénètre dans l'intimité des Pompéiens ponctuée de Warum, Bitters hein et autre germanismes.
Le mur d'une courette envahie par les herbes folles était une alcôve rehaussée de peintures où se prélassait une femme élégante si j'en crois les reconstitutions graphiques. La propriétaire comme de nombreux habitants aisés, louaient une partie de la maison à des prostituées qui en faisait leur lieu de travail. Ici, nous savons que parmi les clients figuraient le mari et le fils de la logeuse, ce qui laisse supposer quelques scènes de ménage dont ces murs ont été les témoins silencieux.
Pompéi était une cité riche. La Maison du Faune couvre 3000 m² occupant une insulae à elle seule. Les archéologues ont laissé en pâture aux touristes qu'un guéridon et la réplique d'un petit faune en bronze. Maigres témoignages.
Pompéi, villa des Mystères
Mais la maison la plus spectaculaire reste la Villa des Mystères. L'accès se fait par des passerelles qui laissent découvrir l'épaisseur des cendres qui la recouvraient. En fait ces prairies verdoyantes plantées d'orangers et de jonquilles recouvrent des pâtés entiers de maisons. Avec ses vingt pièces c'est un vrai labyrinthe. Avant d'être transformée en atelier de vinification, elle appartenait à une prêtresse de Dyonysos dont des fresques retracent l'initiation. Les voici ces fameuses peintures que l'on voit partout. Celles-ci sont les plus célèbres mais il y en a aussi du premier et du second style dans les autres pièces. Jamais je n'aurais cru que les noirs, les rouges étaient aussi profonds, aussi épais et aussi lisses. Elles ont 2000 ans et conservent leur luminosité d'origine. Comment ne pas être impressionné ?
Au coin des rues, subsistent les termopolii, des établissements de restauration rapide où l'on faisait la queue. Un comptoir décoré d'éclats de marbre avec des jarres insérées à l'intérieur pour conserver les aliments évoque nos comptoirs actuels et leurs bacs en inox, les étagères sur lesquelles étaient rangés les verres sont là aussi. Aux murs, des fresques représentant des bacchanales. Plus loin les boulangeries. Il y en avait une trentaine à Pompéi. Avec leurs meules et leurs fournils, elles semblent attendre le boulanger. Je me demande ce que retrouveraient les archéologues du futur si une catastrophe venait à engloutir nos villes. De nos enseignes pimpantes, il ne resterait que des fragments, et nos objets intimes, brosses à cheveux, chauffages d'appoints, outils, bijoux seraient catalogués, répertoriés comme des reliques. Finalement, pas grands choses de différent, la technologie mise à part.
Car ce soleil, ces fresques, mon désir de tout voir me font oublier que je suis dans un immense cimetière. Pompéi, n'est pas une ville mais une tombe monumentale. En pénétrant dans les maisons, les jardins, nous ne sommes que de vulgaires profanateurs. Ça et là des moulages d'habitants figés dans les cendres et la lave nous le rappellent. Mais parmi ces touristes qui les photographient à tout va, ces gamins qui crient parce qu'ils ont soif, ces adolescents à la curiosité un peu morbide, combien ont réellement conscience que nous profanons des tombes ? Un des gisants, près du forum, dont la bouche ouverte exprime encore, 2000 ans plus tard, son cri et sa douleur ; un autre recroquevillé sur lui-même met ses mains sur son visage pour se protéger ou pour ne pas voir la nuée ardente qui déboule sur lui à plus de 900°c. Plus loin, c'est un enfant puis une famille.
Une des victimes de Pompéi
Les seuls habitants aujourd'hui sont des bandes de chiens qui quémandent les restes de sandwiches aux touristes. Cave Canem est-il écrit sur le seuil de la Maison du Poète tragique. Avertissement inutile car les chiens d'aujourd'hui ne sont plus aussi féroces que celui de la mosaïque, ce sont de bons gros toutous. Ils se rassemblent près de la cafétéria où les employés les nourrissent. Une chienne élève sa portée dans une maison toute proche. Des chiots s'amusent au soleil tandis que leur mère s'étirent en plein milieu de la via del Foro. Pompéi est une ville abandonnée aux chiens et aux hordes de touristes.
La maison Paquius proculus possède également une mosaïque avec un chien de garde. Dans la villa de Boscoreale les archéologues en ont également trouvé un figé dans la lave. Cave Canem (Attention au chien) n'était pas une menace en l'air. Petrone dans le "Satyricon" décrit ces bandes de jeunes riches ivres de vin allant, à la nuit tombée, de maisons en maisons, défonçant les portes, ravageant les intérieurs, violant les femmes. Il décrit aussi ces courtisanes ayant réussi, telles Nana dans Zola, les mères prostituant des enfants, les lupanars sordides comme celui que l'on visite ici.
"Lupanar" est un mot qu'ici on se plaît à répéter à l'envie, comme un interdit qui serait permis : "La boulangerie est à droite du lupanar", "prenez à gauche après le Lupanar", "Pouvez-vous m'indiquer le chemin du lupanar" raconte avec humour Roger Peyrefitte (voir la bibliographie) . Pompéi est bien la seule ville où la direction du Lupanar est indiquée noir sur blanc à divers coins de rues. Facile à trouver, il y a toujours du monde devant, il faut faire la queue pour y entrer. Les conditions de travail du plus vieux métier du monde n'ont guère évolué : une petite pièce avec une paillasse posée sur une banquette de pierre, des latrines, des graffiti qui vantent les mérites de telle ou telle professionnelle. Pour les indécis des peintures très bien conservées et très photographiées montrent que les Romains ne consacraient pas seulement leur imagination à construire des aqueducs ou des hypocaustes pour le chauffage central. Ces détails pittoresques font sourire les visiteurs et le bonheur des vendeurs de cartes postales. Un dessin vaut plus qu'un long discours.
Thermes du forum de Pompéi. Le tepidarium. Des logettes encadrées d'atlantes en terre cuite permettaient aux
clients de ranger leurs vêtements. Les chiens de Pompéi sont partout et nullement dérangés par les
touristes.
Après le Lupanar, les thermes. Il y en avait plusieurs, les Terme Stabiane étaient les plus grands et les plus récents de la ville. Je passe de salle en salle, enjambant un chien qui fait la sieste et contournant un gisant, m'imaginant en toge le long de la palestre. Là encore, je suis étonné de l'ingéniosité, de la "modernité" de ces établissements. Nos piscines contemporaines ou nos établissements de bien-être avec sauna, jacuzzi et massages ne sont que de pâles imitations du luxe et du raffinement des Romains.
Près de la porte marine, à l'entrée du forum, le temple d'Apollon accueille le visiteur - ou dans mon cas - le salue avant son départ. Le culte d'apollon était l'un des plus importants de Pompéi mais l'on ignore si ce temple se rattachait à une présence grecque ou étrusque. En tous cas la reproduction du dieu est pleine de finesse et je reste en admiration les détails et la pureté des formes devant cette statue de bronze , tandis qu'en face le buste d'Artémis me fascine de son regard fixe.
Finalement, la fatigue se faisant sentir je prends conscience de l'étendue de cette ville dont il reste encore 30% à découvrir et surtout de sa contemporanéité. Des graffiti vantent les mérites des candidats aux élections. Les rues sont bordées de canalisations en plomb, je traverse sur les "passages cloutés" pour éviter que les habitants ne se mouillent les pieds ; à certains endroits des dalles dressées interdisent l'accès aux charrettes comme aujourd'hui à nos scooters. Dans l'ouvrage sur Pompéi reconstituée, des peintures nous montrent l'exubérance des jardins, le luxe de certaines habitations. Ces reconstitutions nous évoquent une vie dont les apparences idylliques sont accentuées par la tragédie et la violence de sa disparition. Disparue il y a 2000 ans mais pourtant si actuelle.
Aujourd'hui, les abords de Pompéi sont couverts au printemps de jonquilles, de genêts et de coquelicots. Difficile d'imaginer qu'en dessous de ces signes de vie renaissante se trouvait un des plus grands cimetières de l'antiquité, que peut-être des villas, des
propriétés somptueuses et des habitants dont on peut retracer des fragments de vie, comme le bracelet de cette esclave au revers duquel son maître lui avouait son amour, reposent encore quelquepart sous nos pieds. Les gisants, les fresques avec leurs personnages au regard énigmatique nous interpellent par delà les siècles et nous rappellent que notre présence aussi est, comme la leur, temporaire.
"Quand on se place au milieu du carrefour des rues, d'où l'on voit de tous les côtés la ville qui subsiste encore presque en entier, il semble qu'on attende quelqu'un, que le maître soit prêt à venir; et l'apparence même de vie qu'offre ce séjour fait sentir plus tristement son éternel silence. C'est avec des morceaux de la ve pétrifiée que sont bâties la plupart de ces maisons qui ont été ensevelies par d'autres laves. Ainsi ruines sur ruines, et tombeaux sur tombeaux. Cette histoire du monde où les époque se comptent de débris en débris, cette vie humaine dont la trace se suit à la lueur des volcans qui l'ont consumée, remplit le coeur d'une profonde mélancolie. Qu'il y a longtemps, qu'il vit, qu'il souffre et qu'il périt ! Où peut-on retrouver ses sentiments et ses pensées. L'air qu'on respire dans ces ruines en est-il encore empreint, ou sont-elles pour jamais déposées dans le ciel où règne l'immortalité ?"
Mme de Staël, Corinne ou l'italie
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