Jardin Hanbury à La Mortola
Entre Vintimille et la frontière italienne, il est un jardin qui a le pouvoir de faire oublier à son visiteur le temps et le monde qui l’entoure. C’est le Jardin Hanbury au lieu dit La Mortola. Déjà, avant sa création, le site était paradisiaque, protégé des vents du nord par les monts Bellenda et Magliocca, rafraîchi l’été par la rivière Sorba, dominant une partie de la Riviera italienne.
Traversé par l’ancienne via Julia Augusta, le domaine était planté d’oliviers, d’orangers et de myrte à l’origine du nom de La Mortola. L’abondance de la myrte (Myrtus communis) révélerait aussi la présence d’un ancien cimetière.
Au début du XVIe siècle, la famille Lantieri cède la propriété au marquis Orengo de Vintimille. Elle passe ensuite aux mains de Sebastiano Grandio qui la vend en 1867 à Thomas Hanbury.
Il acquiert un tronçon de la voie romaine Julia Augusta et les pâturages voisins, parcelle par parcelle jusqu’à atteindre la superficie actuelle de 18ha. Négociant en épices, en thé et en soie, Thomas Hanbury acclimate des plantes d’Extrême-Orient. Au centre de la propriété, il restaure l’ancien palais Orengo fondé par le cadet de la famille Lantieri lors de son retour des croisades au XIe siècle. La tour date de l’époque où la République de Gènes dressait des tours défensive sur la Riviera contre les invasions sarrazines.
Après la mort de Thomas, c’est son fils Cecil qui reprend le jardin ou plutôt sa femme, Lady Dorothy. Pendant l’entre-deux guerres elle poursuit les aménagements initiés par son beau père avec l’aide de Ludwig Winter qui a créé plusieurs jardins à Bordighera. Mais par manque d’argent en 1960, elle est contrainte de le vendre à l’Etat italien qui en confie la gestion à l’institut international d’Etudes liguriennes. A cette époque le jardin est quasi à l’abandon. En 1987, le jardin Hanbury est rattaché à l’Université de Gènes.
Quant à moi, j’ai découvert ce domaine un soir d’avril. Il me fallait faire vite, le jardin allait fermer. C’est donc au pas de charge que je commençais la visite dans le fol espoir de couvrir les 9 ha plantés en moins d’une heure. C’était sans compter avec l’esprit des lieux. La lente infusion dans l’air du parfum des fleurs d’oranger eut raison de mon empressement. C’est apaisé et avec regret que je vis les portes du jardin se fermer derrière moi sans en avoir découvert la moitié.
Je suis souvent retourné à Hanbury mais en prenant le temps. Ma période favorite c’est le printemps entre avril et juin, lorsque les touristes sont encore peu nombreux, les roses, les glycines et les pivoines en fleurs.
La fontaine du dragon plantée de papyrus et sa vasque en bronze, face à l’ancienne grotte ornée de “L’Esclave”, une statue de l’école de Canova, formaient la partie nord du jardin japonais avant les transformations de Lady Dorothy. Les glycines en contrebas datent de cette époque de l’entre-deux-guerres.
Ce sont ces glycines qui me rappellent en ces lieux chaque année avec leurs couleurs délicates, leurs tiges indisciplinées enserrant les colonnes du palais Orengo, leur parfum enivrant. J’en ai passé du temps assis sur un banc à respirer leur fragrance devant le bassin aux nymphéas, leurs pétales d’opaline laissant transparaître des perles d’eau, les reflets de l’onde à peine troublés par le passage des carpes m’ont littéralement captivé.
Le charme du jardin Hanbury tient à l’alternance d’espaces paysagés et de zones laissées, apparemment, à l’état de nature. Dans la zone réservée aux plantes succulentes, les cactus sont rangés les uns à côté des autres dans un ordre impeccable. Pas une clandestine, pas une plante vagabonde ne s’est immiscée dans leur pré carré ; même les étiquettes d’identification sont droites. En contrebas du kiosque des quatre saisons, les agaves sont superbes. Sur un talus bien drainé et bien exposé, ils étalent leurs feuilles charnues et épaisses au soleil.
L’agave est une de mes plantes préférée. Un peu pour sa forme - les feuilles de A. americana marginata se contorsionnent dans tous les sens au point de devenir une sculpture vivante. Mais j’apprécie plus encore leur capacité d’adaptation. Il faut les voir sur les montagnes de la Riviera accrochés à une anfractuosité minuscule. Solitaire, dans le désert, il émet des rejets à ses pieds. Protégées des ardeurs du soleil par les feuilles de leur ascendant, ce sont des copies génétiques du premier, de véritables clone.
Vers l’ouest le jardin est laissé en friche, c’est le royaume des graminées, celui des découvertes aussi car parmi elles poussent des iris superbes. Sous la villa, il faut parfois se frayer un chemin au milieu des pivoines pour admirer leur immense floraison. Cet endroit, comme beaucoup d’autres ici, est propice à rêverie. Certes il est facile de s’extraire des allées principales, de s’isoler tant hanbury est grand avec ses courtils d’herbes aromatiques, ses allées masquées par des buissons.
Une longue pergola conduit au palais Orengo. Le soleil qui filtre à travers les rosiers grimpants dessine des rayons au sol. Derrières les piliers, des bancs à demi- envahis par des plantes grimpantes permettent de contempler la Méditerranée en toute quiétude.
Les roses justement. Elles poussent un peu partout. Mes préférences vont aux roses blanches anciennes en bouquets duveteux comme des étoffes. Elles me font penser aux anciens jardins de curé.
Le mausolée des Hanbury dans un style mauresque est un peu plus haut. Encadré par des Monstera, c’est un à la fois un endroit plein de charme et émouvant. C’est ici que reposent les cendres de Thomas Hanbury et de sa femme. A l’intérieur du palais, même si les pièces sont vides, il subsiste un peu de l’atmosphère de l’époque du créateur du jardin : le puits, les cheminés et quelques décors.
Tout en bas du jardin, l’ancienne maison des gardiens est devenue un petit bar. Très simple, quelques tables en bois sous les orangers à deux pas de la mer. On l’aperçoit derrière une grille. L’air marin se mêle aux parfums des herbes et des fleurs. Le retour se fera par les chemins détournés, par la pinède et la forêt australienne plantée d’eucalyptus. Si j’ai le courage, la promenade continuera vers Grimaldi Supérieur qui se profile à plus de 400 m.d’altitude aux travers le feuillage des oliviers ou par la voie romaine et les Rochers rouges.