Costa del Sud et Sant'Antioco
Costa del Sud
Depuis Sant’Antioco pour rejoindre Cagliari, il faut longer la Costa del Sud, environ 90 km de routes sinueuses entre Méditerranée et maquis sarde. En Sardaigne, comme en Sicile, il plus avantageux et préférable de louer une voiture que de faire confiance aux transports en commun peu nombreux et parfois aléatoires. Anticipant les difficultés de stationnement et surtout les ruelles et autres passages étroits dans les villages, j’optais pour une Fiat Uno, petite et maniable. Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’à l’aéroport le loueur me tendit une clé siglée de la croix de Savoie et de la vouivre biscione des Visconti, en me disant avec fierté “E un Alfa Romeo Giuletta di 160 cv”.
Et c’est avec un peu d’appréhension que je me suis engagé sur les routes sardes avec ce petit bolide. A l’exception d’un petit caprice résolu à coups de grandes claques sur le levier du frein à main, Giuletta répondit aux attentes d’une sportive : rapide, nerveuse, maniable, agréable à conduire et confortable. Elle se jouait des virages de la Costa del Sud.
Porto Pino
Imaginez un petit cap entièrement boisé de pins d'Alep parcourue de sentiers, l’estuaire d’une lagune aux eaux cristallines avec une immense dune en arc de cercle de plusieurs kilomètres de long : vous avez Porto Pino. Les immenses parkings à l’entrée révèlent l’animation qu’il règne ici en plein été, mais en cette matinée de juin l’endroit est presque désert. Seuls quelques pêcheurs reviennent au port sur leurs petites embarcations. L’un d’eux est fièrement dressé à la proue de son bateau la gaffe à la main. Peut-être est-ce la quiétude des lieux, l’absence de civilisation apparente, les parfums des pins, la clarté des eaux, je ne sais pourquoi, mais j’ai pensé en le voyant à Ulysse revenant au portavec une lance à la main.
Quelques mouettes surveillent le déchargement de la pêche, plutôt maigre au demeurant. L’une d’elles vient se poser sur le quai en face de moi ; un coup d’œil rapide à la surface, un plongeon et voici un poisson de pris. La mer est tellement claire que l’on voit sans peine la flore et la faune marines ; en face de l’estuaire le sable argenté de la dune forme une bande blanche presqu’aveuglante malgré la distance qui m’en sépare.
Costa del Sud
Quelques minutes de route plus tard et me voici sur la Costa del Sud. Une belle route surplombant la mer comme une corniche aux dessus des flots, sinueuse, avec des dénivelés. Les parfums marins se mêlent aux senteurs du maquis. Cela sent le ciste et bien d’autres herbes aromatiques que je n’arrive pas à identifier. Après les pluies de l’hiver, la nature est en pleine croissance, les verts primevère contrastent avec des tonalités plus profondes ; côté mer les bleus outremer rivalisent avec les turquoises. C’est ici que se trouve la plage de Tuerrada avec ses ilôts, l’une des plus belle de Sardaigne.
Sur le bord de la route, les buissons frémissent au passage des chèvres sauvages, près des plages, j’aperçois une foule d’insectes et de reptiles à la lisière entre l’herbe et le bitume de la route. A Stagno di Piscini, une rivière se jette dans la mer. Les éleveurs locaux y laissent leurs troupeaux de bovins de promener à cet endroit. Le matin j’aperçus plusieurs vaches sur le bord de la plage. Le soir, elles étaient rentrées mais je découvris quantités de plantes de bord de mer disparues de nombreuses plages de France. Des lys de mer, des chardons, des oyas…, par endroits le sable présentait une surface immaculée. Aucune trace de pas, uniquement les ondulations dues au vent. J'étais en présence d’un espace presque vierge où la végétation colonise le bord de mer. A cette heure, vers 17h00, nous étions seulement quatre ou cinq personnes. Un paradis perdu.
Plage de Tuerrada, l'une des plus belles de Sardaigne.
Nora
Lorsque je suis arrivé à Nora, j’ai eu davantage l’impression d’arriver dans une cité balnéaire que sur une zone archéologique. Dans les parkings la majorité des gens, des insulaires, allaient à la plage, une large bande de sable blanc bordée de palmiers. Nora antique se situe un peu à l’écart, et il faut franchir un portail métallique et un poste de garde – comme sur une zone militaire – pour y accéder.
La visite se fait uniquement avec un guide, un départ tous les 10 mn. Après plus de deux heures de route, je désirais surtout boire quelque chose de frais. En buvant une bière je regardais la mer, la tour espagnole du XVIIe siècle devant moi, mais aussi un plan de Nora affiché sur un mur. Les peuples nuragiques d’abord, vers 1500-700 av. J.-C. puis les Phéniciens qui le développèrent de 509 à 238 av. J.-C., avaient judicieusement choisis le lieu pour implanter le port et la cité de Nora. Nora est en effet implantée sur une presqu’île triangulaire reliée à la terre par un isthme, face à la pointe nord ouest de la Sicile.
Nous étions que quatre dans notre groupe. J’ai passé une petite heure très agréable grâce aux explications de la guide. Car il faut bien le reconnaître de ce port qui régnait sur une partie de la Méditerranée, il ne reste pas grand-chose.
Après avoir conquis la Sicile, les Phéniciens s’intéressèrent de très près à Nora. Les peuples nuragiques leurs opposèrent une telle résistante, qu’après l’avoir conquise, les Phéniciens colonisèrent entièrement la zone, non sans avoir préalablement fait table rase des monuments existants. Ensuite, les Romains à partir de 238 av. J.-C. incendièrent la cité ; en 79 ap J.-C., l’année de l’éruption du Vésuve qui ensevelit Pompéi et Herculanum, Nora est élevée au rang de cité romaine. En 456 les Vandales, qui portent bien leur nom, saccagèrent la cité qui ne s’en remit pas.
Si le cardo et le decumanus sont toujours visibles, il est parfois un peu difficile d’attribuer une fonction aux ruines encore en place. Des goélands nichent dans les ruines du jadis célèbre temple de Tanit (la déesse de la fécondité des Phéniciens) dans la partie la plus haute de la ville. Il ne subsiste que quelques pierres et l’on devine son antériorité grâce à leur appareillage. A côté se trouvait les quartiers d’habitation et le marché. Aujourd’hui, c’est un labyrinthe de murets bien caractéristiques des maisons antiques. La rue se prolonge sous la mer où se trouvait le port. Une partie de la ville a été inondée par la montée des eaux et demeure interdite d’accès aux archéologues par l’armée propriétaire de nombreux hectares dans la région.
Signe incontestable de romanité, Nora comptait plusieurs établissements thermaux. Les thermes de la mer, du deuxième siècle ap. J.-C., étaient les plus importants de la ville avec la distribution habituelle de tels bâtiments : caldarium, tepidarium, frigidarium (salles chaude, tiède et froide). L’énorme voûte en brique du caldarium gisant au sol me fait penser à la carcasse d’un animal blessé. Et il faut être attentif pour retrouver le faste du passé. Ici, les pilettes des hypocaustes (système de chauffage par le sol) sont intactes, elles supportent encore les dalles du sol ; là un petit orifice permettait d’évacuer les eaux usées par un égout.
Entre les thermes de la mer et les thermes du sud, les quatre colonnes d’une maison de notables se dressent vers le ciel. L’un des rares éléments verticaux qui subsistent aujourd’hui. Là se trouvait l’atrium d’une des plus belles maisons de Nora. Par déduction les archéologues ont reconstitué son plan. Les sols étaient richement décorés de mosaïques, sans doute réalisées par des artistes originaires de Tunisie.
Maison à l'atrium de Nora.
Autre signe distinctif de romanité, Nora avait aussi un théâtre, le seul de Sardaigne. De dimensions moyennes, il était cependant pourvu de tous les éléments que possèdent ses aînés, le théâtre grec de Taormine par exemple : cavea, orchestra et scène.
La visite se termine par un passage au forum, une place rongée par la mer où désormais seules les mouettes viennent prendre le soleil. En regagnant la voiture, je réfléchissais à la vie des habitants de Nora. Malgré mes efforts et, contrairement à d’autres lieux antiques (à la villa de Poppée et celles de Stabie notamment qui me firent grande impression), c’est avec difficultés que je m’imaginais leur existence. Par bribes, comme si mes efforts de reconstitutions étaient comme ces pierres, érodées par le soleil, le vent marin, l’assaut des hommes et des vagues.
La Costa del Sud.