NAPOLI , lorsque l'on prononce ce mot devant un Italien, son expression change : son visage se détend et s'illumine d'un large sourire. Car Napoli, mieux que Naples, n'est pas une ville comme les autres. C'est un autre monde coincé entre le Vésuve toujours menaçant et les vapeurs soufrée de la Solfatara, un chaudron tellurique et populaire où les lieux communs sur les vols, la mafia, la misère et la saleté voisinent avec le naturel, la vitalité, la soif de vivre de ses habitants qui effraient mais hypnotisent et charment les touristes. Peut-être ici plus qu'ailleurs on touche à l'essentiel : vivre avant de mourir...
L'avion ralentit et survole à basse altitude les faubourgs de la ville. Au loin, je reconnais la piazza Dante et la via Toledo tandis que sous mes yeux s'étend le maillage serré de ruelles de la Sanità et de Capo di Monte. Même à 700 m. d'altitude, la fébrilité, le grouillement, l'excitation de la population émerge de ce tissu d'immeubles, dense et inextricable. A l'arrivée, j'apprends que mes bagages, comme tous ceux des passagers en provenance de Nice, ont été égarés. Une habitude chez Alitalia. Bien décidé à ne pas me laisser distraire par ce contretemps, je bondis dans l'Alibus, la navette qui relie l'aéroport au centre ville, pour me replonger dans le chaos, le brouhaha napolitain, impatient aussi de découvrir mon hôtel.
La remise des clés de la chambre est toujours un moment fort en émotion : correspond-elle à mon attente, les photos sur internet étaient-elles fidèles, les commentaires justifiés ? D'habitude je choisis le NH Ambassador via Médina, où tous les hommes d'affaires se rejoignent. Une chaîne d'hôtel au style international, impersonnel, un personnel à l'uniforme tiré aux quatre épingles, sourire professionnel aux lèvres, mais avec une collazione pantagruélique et une vue imprenable sur Capri.
pour mon troisième séjour mon choix s'était porté sur un ancien palais du XVIIIe siècle, l'Hôtel Chiaja, via Chaia, recommandé par une multitude de guides touristiques. "Monsieur le Marquis Nicola Lecaldano Sasso La Terza est heureux de vous ouvrir les portes de sa merveilleuse maison au cour de Naples" affirme le dépliant touristique. C'est Madame la marquise, la trentaine, brune au teint mat, tenue austère, qui vient m'accueillir sous la porte cochère. Monsieur le Marquis, quant à lui, joue au jeune noble branché : apparence soigneusement étudiée entre son costume gris clair, sa barbe et sa chevelure d'artiste dont les savantes retombées sur le visage doivent nécessiter une permanente hebdomadaire. La chambre donne sur la rue, spacieuse, un peu sombre, son mobilier évoque la richesse de jadis.
Il est 17h00 et je veux visiter le Musée National Archéologique de l'autre côté de la via Toledo avant la fin de la journée. A cette heure de la journée les bus sont bondés. Ecrasé par la foule dans le couloir central, j'essaye désespérément de deviner quelles rues nous empruntons. Face à mon désarroi, une Napolitaine vient spontanément à mon secours. D'une voix aiguë mais mélodieuse, elle m'indique le chemin à suivre et, à chaque arrêt, me fait un petit signe accompagné d'un doux sourire pour me signifier de patienter encore un peu.
Les Napolitains, à la différence de nombreux Italiens, apprécient les Français. Peut-être parce qu'ils régnèrent sur Napoli au XIIIe siècle et que Murat embellit et agrandit la ville tandis que les Espagnols l'affamèrent pendant près de deux cents ans. Ma Bienfaitrice me signale que je dois descendre ici. Sa prévenance et sa gentillesse m'avaient presque fait oublié le but de mon trajet.
Le Musée national archéologique
Je pénètre avec avidité dans le musée archéologique, un grand bâtiment néo-classique. La boutique bien fournie attire mon regard, prémisses des découvertes à faire en ces murs. Je vais, enfin, voir les merveilles de Pompéi, ces oeuvres et ces objets du quotidien qui manquent à la cité ensevelie pour lui donner une âme.
Si le public est dispersé au gré des salles immenses, dans le "Cabinet secret" où sont entreposées les peintures érotiques prélevées dans les lupanars de Pompéi ou dans certaines maisons d'Herculanum, c'est la foule. Etudiants, retraités, touristes des quatre coins de la planète tout le monde se retrouve ici.
Il y a les pudiques et les pudibonds qui ne regardent que d'un oeil, les admiratifs qui restent songeurs devant les attributs de certains personnages, les plaisantins, les Français et les Allemands notamment, qui s'esclaffent et qui affichent un sourire coquins. Les Romains étaient des débauchés, on le savait, mais qu'il est rassurant de savoir que nos moeurs avec leurs excès et leurs déviances sont l'héritage d'une si grande civilisation.
La surprise est venue devant ces panneaux entiers de peintures murales et ces mosaïques aux tesselles multicolores. Comment ne pas admirer ces colonnes recouvertes de pâtes de verres ou de terres cuites vernissées aux teintes brillantes et chatoyantes sous les projecteurs.
Et puis, ici est conservé l'original de la mosaïque représentant la victoire d'Alexandre le Grand sur Darius. Ce n'est pas qu'elle est plus belle que les autres, mais on ne peut feuilleter un ouvrage sans tomber dessus ; sa copie est exposée in situ à Pompéi. Après de telles merveilles, le reste des collections me paraît un fade à l'exception de quelques statues en bronze et du célèbre vase bleu, une amphore à vin en verre découverte dans une tombe de Pompéi. Les objets du quotidien, chaudrons, poêles, peignes. s'étalent dans des vitrines sur des centaines de mètres. Peu de gens y prêtent attention, pourtant, ce sont ceux les plus chargés d'émotions. Ils sont usés, patinés par les mains de leur propriétaire, unique lien entre eux et nous. Je retrouve les instruments du chirurgien découverts dans une des maisons que j'ai visitée, le bracelet en or d'une esclave dont un graffiti raconte sa romance avec son maître. Peu à peu, Pompéi me semble plus proche et s'anime.
Chez Brandi
Fatigué par ce premier jour, je n'ai pas cherché très loin pour dîner. A deux pas de l'hôtel dans la salita S. Anna di Palazzo deux terrasses : la Taverna Ntretella, "molto buono" m'a dit à son sujet la réceptionniste en se tapant l'index sur la joue, et la pizzeria Brandi à l'angle de la via Chaia. "Qui 100 anni fa nacque la pizza margherita 1889" indique fièrement une plaque de marbre.
A 19h30, la taverne attend encore ses premiers clients alors que la terrasse de la seconde est pleine. Ce sera donc le Brandi où paraît-il "le cri fatidique se fait entendre dans toutes les pièces : Pronto c' a pala" (prêt avec la pelle). La patronne m'indique la salle à l'étage accessible par un minuscule escalier. Ambiance guindée. Trois ou quatre touristes, des Français, et des Napolitains. Le serveur avec beaucoup de manière m'apporte la carte. Ce sera une assiette d'antipasti, des légumes grillés, une escalope sorrentina accompagnés d'un demi-litre de vin de la région. Sur les tables voisines, les célèbres pizzas arrivent. Pâte épaisse, très épaisse. Toutes les assiettes repartent avec des croûtes restantes bien rangées sur les bords, personne ne la mange en entier. La meilleuire pizza, je l'ai trouvée à Solopizza, via Medina. Un restaurant sans prétention mais fréquenté par les Napolitains. Des pizzas brûlantes, grandes, aux garnitures riches et savoureuses.
Si mon menu est agréable à l'oeil, surtout le plateau d'antipasti, la saveur n'est pas au rendez-vous. A côté de moi, un couple. Ils ont commandé des moules, du poisson grillé, des fritures de la mer, des gambas énormes. Ils se sont mariés la veille ; lui est Napolitain, elle, de quinze ou vingt ans sa cadette, est russe -je me disais bien qu'elle avait un accent. Quand je lui dit que je suis assez déçu par le menu, il me répond que j'ai choisi des plats de l'intérieur des terres, des plats de touristes, qu'à Napoli il faut prendre du poisson. Porté par l'euphorie de son mariage et par le vin, il en a bu plus d'une bouteille, il me fait goûter sa grappa de mandarine et m'en offre une. Excellente et très parfumée. Finalement lui et sa grappa ont sauvé un repas terne. et cher.
La Sanità
La vitalité de Napoli, l'essence de Napoli, elle se dissimule, entre autres, derrière le musée national archéologique, là où commence le quartier de la Sanità, un labyrinthe d'impasses et de ruelles à la réputation sulfureuse.
Lors de mon second séjour, le premier abord s'avéra rassurant avec son barbier rempli de petits vieux et son oratoire à la Vierge. Mais l'atmosphère devint vite oppressante entre ces gamins provocants qui me lancaient des pétards toujours plus près et ce scooter qui vint barrer ma retraite dans une ruelle où je pouvais à peine me retourner, prisonnier de draps tendus de tous côtés. Il y a plus de 100 000 habitants à vivre ici mais je réalisai brutalement que j'étais le seul touriste . depuis mon premier séjour en 2007 le nombre de touristes dans Naples a augmenté, même dans ces quartiers on recontre désormais des Français, des Américains ou des Russes.
La Sanità était à l'origine le quartier des ateliers clandestins de la mafia, les touristes pouvaient s'y promener dans une relative sérénité ; aujourd'hui, il est occupé par "des étrangers" comme le disent pudiquement les Italiens.
La Sanità, je l'avais parcouru sans le savoir dans toute sa largeur un matin par hasard sur le chemin de Capo di Monte, via Vergini, à la recherche d'un endroit pour prendre un café. Des cafés, certes, il y en a, mais avec des comptoirs presque collés à la vitrine, juste assez de place pour avaler un espresso debout collé serré aux autres clients sans s'attarder, pas de quoi se reposer à une table.
J'y suis revenu depuis, à une autre saison, à une autre heure et ce fut encore une autre vision. A côté des impressionnants jeux d'escaliers du palazzo dello Spagnolo dont les splendeurs subsistent seulement dans la mémoire des hommes, voisinent des immeubles délabrés et vétustes avec leurs minuscules boutiques aux étalages débordant sur la rue, obligeant piétons et scooters à cohabiter. Alors que je prends une photo un homme m'interpelle. Il me demande si je connais l'humoriste Toto. Je réponds que oui. Il est ravi de discuter. Toto est né ici, à 100 m. Nous discutons plusieurs minutes, je lui parle de la réputation sulfureuse de ce quartier. Il me répond que ses grands parents, ses parents sont nés et morts dans ce quartier, que lui aussi il mourra ici. Ce quartier, ces venelles il les aime et considère comme une offense pour son coeur de Napolitain (avec la gestuelle) que l'on puisse juger ainsi ses habitants, la misère ne reflète pas l'image des hommes qui vivent ici. Un peu loin, dans l'église de la Sanità, un autre homme m'interpellera et, voyant que je suis Français, me conseillera -en français et avec le même accent que Marlo Brando dans le Parrain- de poursuivre ma visite de la Sanità, de m'enfoncer plus avant voir la basilique de San Gennaro dei Poveri, fier, lui aussi, de prouver aux étrangers qu'au sein même de ces ruelles miséreuses, il y a des beautés à voir.
Santa Maria de la Sanità.
Lorsque l'on franchit le seuil de l'église à la façade terne on ne peut que marquer un instant d'arrêt tant la différence avec l'extérieur est grande. Ici les ors des chapiteaux se reflètent dans les marbres ; dans ce lieu immense au regard de l'étroitesse des ruelles où le soleil peine à pénétrer ce n'est que lumière et quiétude. Par une grille située sous le maître autel on pénètre dans les catacombes paléochrétiennes réutilisées par les espagnols. Ces derniers y faisaient sécher des cadavres dans des logettes creusées dans le tuf pendant plus de 6 mois. Après presque une heure passé sous terre dans le domaine des morts, on revient sans transition à la vie trépidante, bruyante, bouillante du niveau de la rue, un peu déstabilisé par la circulation.
La circulation
C'est à la Sanità que j'ai appris à circuler comme un piétion napolitain. Jusqu'à tard dans la nuit, c'est un grouillement impressionnant de piétons et de scooters intimement liés. Les Vespa servent à tous les usages. Ils se faufilent partout, sur les trottoirs, les bambins devant le conducteurs ou coincés entre les passagers. Leurs rétroviseurs, me caressent le dos. Les scooters avec un, deux voire trois passagers se frayent un chemin visant les rares espaces libres entre les piétons et les voitures. Il y a un code : 2 petits coups de klaxon, arrête-toi ou ne change pas de trajectoire, je passe. Des grands coups longs signifient que je ne m'arrêterais pas même au feu rouge. Les piétons restent impassibles, traversent sans regarder confiants dans l'adresse des conducteurs ou leur bonne étoile. Parfois le véhicule ne semble pas vouloir s'arrêter, le piéton tend le doigt et le dirige vers ses pieds, comme lorsque l'on commande à un chien de se coucher aux pieds.
La présence plocière dans les rues de Naples est plus importante qu'il y a trois ans. Des policiers -l'équivalent de nos ASVP- sillonnent les rues à pieds, surtout à Spaccanapoli, et font appel aux carabiniers si besoin. Des groupements de policiers stationnent sur les places ou à certains carrefours afin d'intervenir très vite.
En 2014 une nouvelle ligne de métro est en construction et les lignes existantes ont été refaites. Rien à voir avec Paris. Plus petit il est aussi plus propre spacieux et décoré par endroits de mosaïques. En revanche, est-ce les nombreux travaux occasionnés par le métro mais j'ai trouvé Naples lors de mon cinquième séjour en 2014 beaucoup plus sale qu'auparavant.
La Passegiatta
Quand les derniers de rayons de soleil s'évanouissent à l'horizon, c'est l'heure de la passegiatta et la via Toledo s'anime. Si à Catane, ce sont des vagues humaines qui descendent dans les rues, ici se sont des marées. Tout en marchant, ça "chiacchiate", ça papotte. La foule est survolée du bruit de ces milliers de voix comme les bruits d'une forêt qui se réveille.
Les vendeurs à la sauvette étalent leurs babioles, on fait du lèche-vitrine, on se promène. A la tombée du jour ces milliers de personnes vont et viennent à petits pas. Ces vagues humaines s'écartent de temps en temps pour laisser la place à un véhicule roulant à petite allure.
Spontanément des groupes de musiciens s'installent sur les trottoirs. Près de la piazza Triestre les jeunes se regroupent sous le regard des carabinieri toujours nombreux à cet endroit. Le quartier espagnol contigü se réveille aussi. Les scooters foncent et font des dérapages controlés dans ces ruelles qui se coupent à angle droit. C'est ici que se trouve ma rue préférée : la via Pignasecca. Vers les dix-neuf heures, les habitants du quartier espagnol sortent y faire leur provision. Chaque soir vers 19h00 j'y vais faire un tour pour me plonger dans ce bain de vitalité hérité de dizaines de générations de Napolitains mus par les puissances chtoniennes du Vésuve.
Les boutiques sont bondées, ça débordent. Rien à voir avec les magasins chics de la via Toledo ou de la via Chaia. Ici, les tripiers exposent fièrement les abats derrière des vitrines illuminées ; un néon mauve autour d'une Vierge attirent les clients à l'intérieur d'une boulangerie comme la lumière les papillons de nuits. Dans les drugstores étroits comme un couloir, on vend tout au détail, les mouchoirs en papier, les yaourts et tout ce que nous achetons par lots. Plus loin une jeune femme achète ses légumes ou du linge de maison sans descendre du Vespa, en se faufilant entre les cageots et les étalages qui débordent sur le pavé. Au coin des ruelles, sur les bancs publics des pépés jouent aux cartes.
Ça piaille, ça crie, ça s'interpelle. Une mère avec ses enfants sur un scooter m'apostrostrophe en napolitain en apercevant mon appareil photo. Sait-elle qu'ici je ressents l'âme italienne, en tous cas l'âme napolitaine. La foule dense est affairée mais l'ambiance est détendue ; on respire après une journée de travail. L'autre quartier populaire de la ville est élevé sur les parties les plus anciennes, celles où les decumani antiques se mêlent aux vestiges grecs de Neapolis et aux murailles du Moyen-Age : Spaccanapoli et via Tribunali.
Le Caffé
C'est ici piazza Belleni qu'eut lieu mon premier contact avec Napoli, attiré par les bouquinistes de la Porta Alba, après avoir erré le long de la via Toledo. Epuisé, je choisis un petit café décoré de piles de vieux journaux. La patronne, la soixantaine avancée, me présenta ses pizzas en me posant la main sur l'épaule. Je pensais à mon portefeuille, mais il s'agissait seulement d'un geste de bienvenue.
Les Italiens sont très tactiles et vous passent facilement la main sur l'épaule ou le bras sans arrière pensée. On commanda une pizza, un verre de vin, un gâteau (un étouffe chrétien mais qui se révélera être une spécialité) et deux cafés. Premier contact avec le célèbre espresso napolitain qui me paraît toujours horriblement dur et serré comparé à celui servi en Ligurie, doux et amer. Au comptoir d'un café via dei Tribunali une cliente BCBG m'expliquera que la réputation de l'espresso napolitain de tient pas dans une seule tasse.
Il n'y a pas UN espresso mais une multitude servie avec au fond de la tasse de la mélasse, de la crème de noisette, du chocolat fondu et que sais-je encore. Cette variété en fait sa richesse me dira-t-elle en le dégustant comme partout en Italie : cul sec après la première gorgée. Celui-ci est serré, un peu sec pas mauvais même si je préfère celui servi en Ligurie. En tous cas rien à voir avec la mixture servie à l'hôtel faite pour plaire à une clientèle internationale à majorité anglo-saxonne.
Spaccanapoli
Spaccanapoli, je l'ai parcouru à de nombreuses reprises, parfois au petit matin, lorsque les commerçants finissent la dernière goutte de leur espresso au comptoir avant d'ouvrir boutique. Dans cette partie fréquentée par les touristes, ils sont marchands de souvenirs, artisans, santonniers.
C'est ici que la crèche est née au XIIIe siècle. De fait, chaque boutique, de la plus exiguë à la plus large abrite un santonnier. Certains font de la production en série, d'autres l'adaptent aux modes pour la plus grande joie des touristes. Les étals fourmillent de Berlusconi, de joueurs de foot ou autres vedettes des médias. Quelques unes sont occupées par des véritables artistes. L'atelier de Giuseppe e Luigi Cesarini via S. Gregorio recèle des merveilles.
Des personnages de 40 cm de haut aux visages fins et aux costumes précieux. Sur les étagères traînent, de ci-delà, des têtes, des torses mais aussi des pièces du XVIIIe siècle. Après quelques mots, il me confie à la fois interrogatif et désabusé que les Français préfèrent les anges. Plus loin, une mère et sa fille sont spécialisées dans les accessoires de crèche. Je suppose que le père doit en fabriquer certains. Je reste admiratifs devant ce monde miniature : légumes, paniers, poissons, charcuterie, escargots, seaux. par dizaines.
Chanteurs piazza San Gaetano
Dans une boutique de la rue adjacente, chez Raffaelle Russo, l'atmosphère est plus feutrée. Fi des santons et de leurs verves, ici on vend des images pieuses, des Christ et des Vierges de toute beauté. On ne parle pas, on chuchote tandis que dans la rue, le poissonnier et la marchande ambulante de pains avec sa poussette - au premier abord je l'ai prise pour une SDF - crient à tue-tête.
A midi, je choisis de déjeuner à la Campognola via Tribunali où l'on fait "una cucina tipica dal 1846". L'établissement est connu des riverains et des touristes depuis que Francès Mayes en a parlé dans son livre sur les saveurs du monde. La salle est simple ; pas de carte, le menu est inscrit sur le mur. Les prix paraissent attractifs mais au final la note se révèle être assez onéreuse. Anchois marinés, antipasti, una spada, café et eau : 30 € . A 12h30 la salle est comble, un couple de personnes âgées attend une table. Je les invite à la mienne le temps de patienter. Il est Napolitain de souche.
Il me raconte qu'ici, il y a bien des années c'était une cave à vins, que le patron est le successeur du fondateur, que la pizzeria d'à côté est l'une des plus ancienne de Napoli. On y prépare encore la pizza frite (pas celle avec des frites belges dessus), la vraie, la nonna des pizzas, celle avec une farce prise entre deux couches de pâtes et frite dans l'huile.
Nous discutons de la langue vernaculaire. Je trouve que les Napolitains traînent sur les mots et que certaines consonnes sont déformées : schingue pour cinque. Il ajoute que les Napolitains mangent les terminaisons des mots. Dans la salle le neveu du patron est aux commandes. Il refuse un verre de vin à un SDF provocant la colère de son oncle qui lui l'offre (les Napolitains sont généreux et donnent souvent quelques pièces aux mendiants dans les rues). Au moment du caffé, petit quiproquo. La maison n'a pas de machine à caffé et on doit le commander en face dans une sorte de fast food tenu par des Pakistanais.
Naples est truffée d'églises, de la Cappella Sansevero aux sculptures magnifiques dont l'entrée est payante. 6€ par personne mais ça vaut le coup. Les gardiennes y sont aimables comme des portes de prison, mais la finesse des détails du Christ le font vite oublier. Il semble que le Christ vient d'expirer, un linceul d'une finesse extrême, collé au visage épouse ses traits décharnés ; le spectateur est tenté de soulever ce voile de marbre tant il paraît léger.
Dans les ruelles moins passantes, on croise parfois une chapelle désaffectée à la porte close. Je n'imaginais pas autant de splendeurs à Naples. San Domenico Maggiore abrite de superbe statues de marbres tandis qu'à San Paolo Maggiore ce sont les plafonds qui sont admirables, sans parler des dizaines d'oratoires à la Vierge, au Christ ou a un saint. Ici, peut-être plus qu'ailleurs en Italie, les manifestations de foi sont plus visibles, plus passionnelles aussi. Les églises sont rarement vides. Le long de la via Toledo, l'église Santo Spirito est toujours ouverte.
Des passants viennent ici se reposer et trouver un peu de tranquillité à l'écart de la circulation. La majorité vient prier. Un homme âgé s'aventure derrière un autel et commence une prière à N.-D. des Sept Douleurs en caressant le marbre. Sa prière terminée, il s'éloigne non sans avoir Caressé l'épaule de Padre Pio, comme à un ami que l'on salue. Les jours de fêtes religieuses, des processions ont lieu dans chaque paroisse. Ce jour de Pâques, une vingtaine de personnes, dont de nombreux gamins vêtus de bleus et de blanc parcourent les ruelles adjacentes de la via Tribunali. Ils font dévotion à la Vierge et à Giuseppe Moscati.
A chaque oratoire, c'est le même cérémonial. Les plus petits en tête avec le drapeau italien, chacun vient incliner sa bannière devant l'autel fleuri, sous la houlette d'une sorte d'une adjudante qui n'hésite pas à imprimer une ferme poussée sur les épaules des enfants afin que la génuflexion soit faite avec plus de ferveur. On avance les jambes pliées en faisant osciller la bannière, parfois on l'incline devant une maison pour la bénir. Puis vient le dais que l'on fait aussi osciller au son d'une musique répétitive. Il paraît bigrement lourd à en juger par l'état de fatigue des porteurs qui sont loin d'être des athlètes. Ensuite c'est le salut au saint sur une marche entonnée à la trompette qui hésite entre fanfare et air militaire. Et l'on recommence à reculons, comme un film à l'envers, pour se remettre dans le bon ordre avant de partir vers l'oratoire suivant. Au dernier oratoire, on frise l'hystérie. Une femme du public, trouvant sans doute que la cérémonie manque de rythme, s'est saisie d'une bannière et de la jeune fille qui la soutient et l'a fait tanguer pendant plusieurs minutes avant que cette dernière ne chancelle et ne demande grâce. Les hommes ne sont pas en reste : à bout de bras, ils présentent le dais devant l'autel à plusieurs reprises, avec à chaque fois un peu plus de frénésie.
Dans l'assistance, certains s'inquiètent de l'épuisement d'un ou deux porteurs, des adolescents à peine sortis de l'enfance, et se décident à les aider. Après un air de trompette, la cérémonie s'interrompt brusquement.
La fatigue se lit sur les visages, certains s'épongent avec une serviette, d'autres plus abattus, s'écroulent sur des bornes. On parle à voix basse avant de commencer à ranger les bannières dans le local voisin. Les riverains dont le petit ami d'une porteuse de bannière m'expliquent la présence des portraits sur l'autel.
Après la procession, j'ai demandé aux officiants qui étaient Giuseppe Moscati. Leurs explications sont empruntes d'une foi sincère et d'émotions. Ils me fournissent autant d'explications que je le souhaite comme un don, à moi qui n'ai pas cessé de les filmer et de les photographier à la limite du voyeurisme depuis le début de l'après-midi. Moscati était un médecin de Naples qui soignaient les pauvres, les misérables, les oubliés. Aujourd'hui c'est un saint. Dans l'église du Gésu, un autel lui est consacré. On y a aussi déplacé son bureau et sa chambre. Les gens viennent se recuellir devant sa tombe, l'embrasse, serrent la main de sa statue. Je suis resté quinze minutes devant son effigie et j'ai vu presque dix personnes venir se recueillir.
Dans l'église du Gésu, se trouve le cabinet de médecine et la chambre du docteur Moscati. Sur le chapeau, figure le mot suivant : "Chi ha metta, chi non ha prenda", celui qui a de l'argent en met, celui qui n'en a pas, le prend."
Cérémonie religieuse encore, ce samedi. Mais dans un quartier chic, au bord de Mer près du Château de l'Ovo dans la petite chapelle de la via Santa Lucia. En cet après-midi les grosses berlines et les familles se regroupent à la porte des cinq étoiles. Photos de mariage devant le Château face à la mer, et apéritif dans un luxueux hôtel.
On a du mal à réaliser qu'en plein coeur de Spaccanapoli vivent des soeurs dans leur couvent. Santa Chiara ou san Gregorio sont des ilôts de tranquillité au milieu du bruissement de la foule. Dans leur cloître on ne perçoit pas les rumeurs de l'extérieur, c'est étonnant. Le cloître de Santa Chiara, près du Gésu, est décoré de dizaines de céramiques et de fresques.
Céramiques du cloître de Santa Chiara via Benedetto Croce
Le Cimetières des Fontanelles
Les Fontanelles sont Situées à la périphérie de la Sanità (métro Materdei). Je pensais avoir vu les quartiers les plus pauves à la Sanità ; les Fontanelles m'ont fait pensé à des favelas. C'est ici dans une carrière de tuf que sont entreposées les victimes de la peste de 1526 (250 000 morts) et d'autres épidémies. On se croirait dans une catacombe, on progresse dans la demi obscurité. Bien entendu ce lieu est propice aux légendes de toutes sortes. L'une d'elles raconte l'histoire d'un séducteur qui avait l'habitude de donner rendez-vous à ses conquêtes dans ce lieu funèbre. La mort s'invita à son mariage et l'emmena pour l'éternité dans ce cimetière.
Ce n'est pas ces milliers d'ossements qui m'ont le plus touché, c'est la ferveur avec laquelle les Napolitains les respectent et leur rendent un culte. Des objets, poupées, photos, chapelets voire des repas entiers, sont posés les crânes. Certains ont déposé une pièce sur le sommet de certains crânes, sans doute en échange d'une faveur. C'est là que je me suis aperçu que les Napolitains vivaient avec les morts, avec la mort, que leurs disparus continaient à faire partie de leur quotidien. dans les église, il n'y a pas une chapelle sans reliques, squelette ou saint dans un cercueil de verre.
Cimetière des Fontanelles. remarquez les offrandes devant les ossements, ici un repas.
Les beaux quartiers : le bord de mer.
En face dans l'allée qui mène au château de l'Ovo, c'est un autre va-et-vient. Derrière les palaces un escalier mène à des masures où s'entasses des gamins et des émigrés. La largeur d'une rue séparent ces deux mondes, mais il y a là plus qu'un océan. Napoli est occupée par d'autres "sans-papiers" : les chiens. Des chiens solitaires ou en bandes sillonnent la ville. Le matin ou aux heures chaudes, ils errent nonchalants ou se reposent à l'ombre. A l'heure de fermeture des restaurants, ils font la tournée des bars en quête de leur pitance. Un matin, je propose à l'un d'eux de partager mon croissant. pas assez consistant à son goût ; il tourne la tête d'un air dégoûté.
Celui-ci attend le bateau pour Capri. Il semble connaître les horaires et les bateaux. A l'heure d'embarquer il prend la file des passagers. Je le retrouverai à Procida, sur le bateau du retour après une journée passée aux îles comme un parfait touriste.
A quelques kilomètres à la sortie de Naples se trouve les quartiers de Posillipo, un quartier résidentiel avec de superbes villas face ua Vésuve et Marechiarro. Une cale, quelques pêcheurs, des cafés. Les Napolitains viennent y prendre le soleil et s'extraire du brouhaha et de l'animation de la ville. Ici, les habitués viennent prendre leur bain de soleil ou dîner au calme.
Les restaurants
C'est via Santa Lucia que j'ai trouvé, un soir de semaine, un excellent restaurant fréquenté uniquement par des Napolitains, "Chez Ettore". C'est la caissière de la supérette voisine qui me l'a indiqué en se mettant, elle aussi, le doigt sur la joue.
Je m'installe près des cuisines au fond d'une salle toute en profondeur. Autour de moi, des couples, des familles, ça parle fort. Leur minestrone et leur anchois marinés sont excellents. En revanche, mais c'est une constante à Naples, les pâtes sont al dente, très al dente. Même la gamine derrière moi a besoin de l'aide de son père pour piquer dans ses penne à peine cuites.
Naples abrite de nombreux petits restaurants aux savoureuses spécialités. Le jour de Pâques la patronne de l'Hosteria Toledo dont la salle est décorée de cartes postales du monde entier dans le quartier espagnol, offre du pain pascal farci de petits lardons à tous ses clients. Accueillante, elle accepte d'adapter sa carte aux désirs des clients.
Non loin de là, les murs de la salle du Bohémien sont parsemés de souvenirs de la ville. Vers Chaia la Taverna Ntretella, salita S. Anna di Palazzo près de l'hôtel Chaija possède une petite salle simple aux tables recouvertes de toiles cirées où l'on sert la viande sur une épaisse tranche de pain, le poisson dont on discute le prix au kilo avec le patron, un vin de la maison d'une douceur exquise. Mon meilleur souvenir restera le risotto aux asperges et aux gambas ou les spaghettis aux crevettes et à la pistache chez Umberto à Chaia via Alabadieri et son gateau napolitain à l'essence de cédrat à moins que ce soit les succulentes pizzas à la pâte fine et souple de Solo pizza via médina.
Le retour à l'hôtel à pieds au fil des ruelles après ces dîners, malgré la réputation sulfureuse de Napoli, n'a jamais posé de problème. Je me sens plus en sécurité dans les villes italiennes qu'en France ; les Napolitains (mais aussi les Romains) vous interpellent et vous mettent immédiatement en garde s'ils détectent un danger pour vous, le plus souvent un voleur à la tire. Certains quartiers restent éveillés jusqu'à tard dans la nuit.
Quant aux habitants des ruelles vétustes et miséreuses, ils espèrent sans doute vivre un jour de plus si saint Janvier ou le Vésuve le leur permet.
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La piazza municipio avec la fontaine qui se trouvait via Medina.
Oeuvre de Banksy dans Spaccanapoli Oeuvre de Bansksy
Spaccanapoli, centre historique
aux ruelles bordées de marchands de santons
Ci-dessus:
Le quartier chic de la via Chaia à l'heure de la passegiatta où une marée humaine nonchalante envahit les rues et flâne devant les vitrines devant les boutiques de luxe.
Ci-dessous:
Une partie de cartes dans la rue,
du côté de la via dei Librai
Ci-dessus et à gauche:
deux oeuvres conservées au
Musée National Archéologique de Naples.
Ci- dessus :
Plaque sur la façade du Brandi, engageante mais décevante.
Ci-dessous:
Le comédien Toto (http://comedieitalienne.com/2008/09/)
L'entrée des catacombes de santa maria de la sanità
Au centre :
Ruelles de la Sanità où nacquit le comédien Toto
Palais de l'Espagnol
Marbres de Santa Maria de la Sanità
Ci-dessus :
un autel et une rue de la sanità de Naples
Ci-dessus : La rue des Fontanelles où se trouvent
le cimetière du même nom, sans doute un des plus
pauvres de Naples.
Ci-dessous :
Petits métiers de Naples
Marchande de pain ambulante via Tribunali,
tripier, poissonnier et vendeur de pizzas
Ci-dessous :
Spaccanapoli, via tribunali
Ci-dessus :
La boutique d'images pieuses et de santons
de Raffaelle Russo et la Campagnola
Ci-dessous :
Eglise du purgatoire, église Saint Paul majeur,
Christ de San Severo (photo panneau municipal)
San gregorio
Certains tags dans les rues de Naples retiennent
l'attention.
Naples est en pleine mutation :
place de la mairie avec sa fontaine mise en valeur,
métro moderne, propre, avec de nombreuses oeuvres d'art,
voir ci-dessous :
Ci-dessous:
Le bord de mer est le lieu privilégié
pour les photos de mariage ou de mode.
Ci-dessous:
Naples vue depuis le Vomero
Ci-dessus :
Un des chiens libres de Naples.
La vieille ville est parcouru par des chiens solitaires
ou en bandes. Pas agressifs, ils ne recherchent pas
les touristes. ces animaux ont leurs habitudes
dans les restaurants où ils font la fermeture pour obtenir des restes. Celui-ci attendait le bateau pour Procida.
à gauche et ci-dessous :
Chez Ettore à Chaia, un établissement fréquenté par les Napolitains.
Le Bohémien aux murs chargés d'histoire
Ci-dessus :
Une ancienne boulangerie
dans le quartier de Chaia
Ci-dessus:
Intérieur de l'église Santa Maria de la Sanita
Ci-dessus :
la conduite du scooter à Naples...
Près de la gare se tient un marché haut en couleurs.
Ci-dessous:
La passegiatta via Toledo et via Chaia
Ci-dessous et au centre :
Spaccanapolii avec ses marchands de
santons.
Certains font référence à l'actualité,
Zidane voisine avec Berlusconi.
A chacun sa religion,
Si Maradonna est vénérée par certains comme une icône, son effigie
n'est plus dans la rue en 2014, il entrer dans le café Nilo
via San Biagio
dei Librai
Naples, le caffé.
Ci-dessus ::
santons fabriqués par G. et L. Cesarini
Ci-dessous et au centre:
Procession dans le quartier de spaccanapoli
le jour de Pâques et retour de procession piazza Trieste
Ci-dessus :
Choeur du Gésu et effet de lumière sur un des putti.
Statue du Docteur Moscati devant laquelle les Napolitains
prier en nombre.
Cimetière des Fontanelles aménagé dans des carrières.
Plus de 250 000 restes humains y sont conservés.
Ci-dessus:
piazza Triestre
intérieur et détail de la façade de la galerie Umberto I
Une des fresques de couvent de Santa Chiara.
Ci-dessous:
Le Château de l'ovo.
Selon la légende, lorsque l'on découvrira
l'oeuf qu'il renferme, Naples sera détruite.
Ci-dessus:
Vendeurs des rues :
de cacahuètes à l'embarquement pour Capri
de maïs près du port.
Dans le Parco Vergiliano a Piedigrotta se trouve une tombe
romaine où, selon la tradition, Virgile aurait été inhumé.
Ci-dessus :
Marechiarro à la sortie de Naples où les Napolitains viennent
chercher le calme et le soleil.
Ci-dessus:
Chez Ettore , quartier du port
restaurant familial fréquenté essentiellement par
des Napolitains et la pizza de Solopizzas.