Reggio di Calabria et la Calabre
La Calabre. Encore une région d'Italie où les clichés sont légion. Malheureusement ici, une partie d'entre eux sont réels. Il suffit de voir les centaines de constructions inachevées, parfois à moitié habitées, pour mesurer la quantité des fonds qui s'évanouissent dans la nature.
A mon arrivée à Reggio di Calabria, à "Reggio" comme on dit ici, j'étais impatient de visiter le musée archéologique où sont conservés les célèbres bronzes de Riace. Pas de chance, le musée est en restauration jusqu'en juillet 2011 - encore un chantier. Les précieuses statues sont "hospitalisées" au Conseil régional à l'autre bout de la ville avec quelques "pinakes" des ex-voto en terre cuite de toute beauté. Allongées sur des berceaux de bois dans une chambre à l'atmosphère contrôlée, isolées des curieux par une vitre, elles sont l'objet de toutes les attentions des spécialistes. Sondant leurs entrailles de métal par ultra sons ou échographie, ils étudient l'érosion de leur épiderme de bronze.
Ces statues exceptionnelles ont été retrouvées par des plongeurs au large de Riace sur la mer ionienne par huit mètres de fond. Des têtes ont aussi été ramenées à l'air libre et notamment "la tête du philosophe" le plus ancien portrait grec connu du Ve s. av. J.-C.
Même dans ces conditions, ils restent impressionnants. Leurs proportions sont caractéristiques des canons grecs et du contrapposto. On reste stupéfait devant la qualité et la minutie des détails de la barbe du philosophe, les lèvres en cuivre, les dents en argent, les pupilles en ivoire et en pâte de verre. Les archéologues discutent toujours sur l'identité de leur auteur : Phidias, Polyclète ou Miron ? nul le sait. Même incertitude sur les modèles de ces guerriers. Serait-ce Castor et Pollux, fils de Zeus et de Léda, harmodios et Aristgiton, des personnages réels qui tuèrent le tyran Hipparque ?
Le lungo mare de Reggio di Calabria avec ses arbres majestueux
Reggio di Calabria et la Calabre en général sont à l'image du musée. La volonté de s'ouvrir, de se développer, de croire à l'avenir y est patente en dépit de l'adversité et des difficultés. Entre mer et montagne, certains sites sont grandioses ou étonnants comme Gerace, Scilla ou Pentedattilo. Les côtes bordant une mer tirant vers la violine tant elle est bleue, sont restées sauvages ; et les Italiens y viennent en masse. Mais seules les stations de Tropea, de Diamante, de Capo Vaticano et leurs abords ont la faveur des juillettistes et des aoûtiens. La menace de tremblement de terre est présente, mais moins prégnante que celle d'assurer le quotidien. Il n'existe pas non plus de grosses industries créatrices d'emplois.
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Après le tremblement de terre de 1908, le centre de Reggio di Calabria
a été reconstruit selon un plan à damier (ou, pour rappeler ses racines grecques, hippodamique)
Son architecture s'inspire à la fois du style byzantin pour le dôme, troubadour et vénitien pour les édifices.
A Reggio, tous les efforts de la municipalité se sont portés sur le bord de mer, le lungo mare. Certains ouvrages français le comparent à notre Croisette. Et ce n'est pas faux. Face à des plages impeccables d'un côté et des jardins plantés de palmiers, de ficus majestueux et de statues très contemporaines de l'autre, il s'étire sur plusieurs kilomètres. Et il ne manque pas grand chose à la via Garibaldi où se déroule la passegiatta quotidienne de fin d'après-midi pour rivaliser avec des avenues piétonnes de Ligurie. Le long de celle-ci, le dôme, reconstruit après le tremblement de terre de 1908 vaut bien l'église Charles Garnier de Bordighera. Certes, certaines dalles de la via Garibaldi sont déchaussées, mais les devantures des boutiques Oviesse, Mont-Blanc ou Carpisa ne dépareilleraient pas à Rome, Milan ou Florence.
Via Garibaldi où se déroule la passegiatta à Reggio di Calabria.
Contrairement à Naples ou Palerme, elle se termine relativement tôt en septembre, avant 21h00
Il faut cependant quitter les artères principales pour trouver les produits régionaux typiques. En Calabre on produit du piment qui entre dans la composition du ndjunda, une sorte de chorizzo, mais aussi et surtout du réglisse et de la bergamote. Amateur de réglisse, j'ai du admettre que les tabacs en proposaient moins de variétés qu'à Vintimille et il m'a fallu du temps pour trouver, coincés entre des piments et des légumes en conserves dans une boutique spécialisée, de la liqueur et de la poudre de réglisse.
Les produits à base de bergamote sont plus répandus. En Ligurie et à Sorrente on produit de la liqueur de citron, le limoncello. Ici, on fait la même chose avec la bergamote. Si au premier abord on est surpris par l'amertume, ce breuvage s'avère plus parfumé que son concurrent. Seulement, sa réputation ne dépasse pas le sud de l'Italie et il est difficile de s'en procurer ailleurs.
A Reggio, les restaurants en propose sous plusieurs formes : mousses ou glaces. A la Fiore di Capre (la Fleur de Capre - une autre spécialité), un des meilleurs restaurants de poissons de la ville j'en ai goûté en mousse après un poisson à la pistache et des acras sucrés savoureux. Même constat que pour la liqueur, après l'amertume viennent les arômes de la fleur.
En attendant mon avion de retour, en salle d'embarquement, j'ai discuté avec des Calabrais émigrés repartant pour leur pays d'adoption, la France. Sans que je leur suggère, ils me dirent que la Calabre, à l'exception du relief et des températures ressemble à la Bretagne.
En hiver les pluies y sont fréquentes et abondantes, l'enclavement est important et on y produit de la charcuterie de porc, on y vit de la pêche. Et si les Calabrais sont fiers et fermés, ils se montrent amicaux et généreux envers ceux qui ont su gagner leur confiance.
Le lungo mare à la nuit tombante